28 octobre 2013

Ted Nugent - Scream Dream (chronique hard-rock)

Ted Nugent - Scream Dream (1980)



1 - Wango Tango
2 - Scream Dream
3 - Hard As Nails
4 - I Gotta Move
5 - Violent Love
6 - Flesh And Blood
7 - Spit It Out
8 - Come On Get It
9 - Terminus Eldorado
10 - Don't Cry» (I'll Be Back Before You Know It Baby)




     «Si c’est trop fort, c’est que t'es trop vieux», c'est la devise de Ted Nugent. S'il y a un album en particulier du guitariste de Détroit qui puisse se targuer de faire du bruit, c'est bien Scream Dream. Sur ce sixième album en solo, tous les potentiomètres sont au maximum! Sans surprise donc celui du volume,  mais aussi celui du tempo, qui rarement faiblit; les quelques ballades isolées des albums précédents n'ont plus leur place ici: finies les «Alone», et «Together» et  place au très speed «Violent Love»! Le style de Scream Dream est sans concessions: refus des nuances, refus des contrastes, refus de la complexité, d'où cette impression de brutale spontanéité qui émane de l'album. Prenant ses distances avec les raffinements d'arrangements et de production des albums précédents, Scream Dream, le plus enervé des albums du Motor City Madman, joue cash. La tracklist en béton armé de ce LP penche en revanche et encore plus qu'auparavant du côté d'un hard-blues musicalement goguenard, aux paroles toujours salaces.


     «Wango Tango»: difficile de faire plus rudimentaire que ce riff, se réduisant à deux powerchords teigneux et coriaces. S'appuyant sur ce préambule à la guitare seule, l'entrée de la rythmique, presque punk en dépit d'une production très studio, assure pourtant un minimum syndical qui en a tous les attributs; ces poum-tchac  fonctionnels sont un pari gonflé mais gagnant. Les refrains inattendus du titre qui convient de fantaisistes et insolites choeurs féminins semblent en comparaison assez peu No future pour le coup… Le riff de «Wango Tango», cadet insolent du «You Really Got Me» des Kinks, est évidemment plus malin que banal: son efficacité procède par accumulation, et passées quelques mesures tout ça monte sérieusement à la tête! Quatre pistes plus loin, à l'inverse, la toute fin de «Violent Love», son motif cadentiel assené six fois de suite sembleront vouloir mettre K.O l'auditeur… qui cinq secondes plus tard devra retrouver ses esprits pour affronter un «Flesh And Blood» froidement determiné. Scream Dream est ainsi un album musicalement très physique… mais également assez éprouvant. Le cri perçant de Nugent en introduction de la chanson éponyme, c'est encore une agression auditive, après les vocaux braillards de «Wango Tango»! Cette crudité aurait pu être réjouissante, mais mal mixées, trop en avant, ces voix sont rédhibitoires. C'est d'autant plus regrettable que toute la tracklist souffre de ce parti-pris sonore, le sommet étant atteint sur «Flesh And Blood», littéralement hurlé et même douloureux à l'écoute… Pas étonnant que le Nuge soit aujourd'hui à moitié sourdingue, à force de décibels pendant ses concerts. Heureusement les parties de guitares et la façon dont elles sonnent sont au top, comme toujours chez Nugent. Le choix osé qu'a fait dès ses débuts Ted Nugent de jouer sur une guitare plutôt destinée au jazz, la Gibson Byrdland, pour l'intégrer à son hard-rock, s'est toujours révélé payant, confère l'immense «Stranglehold» sur son premier album (1975). Sur le riff de «Scream Dream» la sonorité mordante de la bête fait des étincelles; quant à la basse/batterie, c'est un rail! On a pourtant souvent reproché à la section rythmique de Ted Nugent d'être en retrait du guitariste. D'accord sur le Double Live Gonzo, qu'a depuis renié son auteur, encore que la faute soit surtout à imputer au mixage. Mais sur «Wango Tango», le jeu un peu sale au médiator de Dave Kiswiney est un régal; sur «Scream Dream», le drumming pragmatique de Cliff Davies fait ressortir d'autant plus les fills du batteur, acérés, au timing parfait. Les titres s'enchainant, une chose surprend sur Scream Dream: cette impression d'un bloc de musique compact plus que d'une suite de titres individuels. Pourquoi «Hard As Nails», si différent, semble pourtant si semblable à «Scream Dream, le titre précédent? Pourquoi «Come On Get it» semble être un second volet de ««Flesh And Blood»? Réponse: leur tonique, la… Huit des dix titres de l'album sont d'ailleurs dans ce la mineur blues: une sorte d'exploit. Seul le sarcastique «Terminus Eldorado» "s'aventure" dans le mode de mi. Quant à «Spit It Out», la compo ose même la tonalité de ré… majeur! À ce refus de la variété tonale sur Scream Dream s'ajoute une omniprésence des grilles de blues. Parfois, AC/DC n'est pas loin, comme sur le très potache «I Gotta Move, blues speed expédié en à peine plus de deux minutes chrono en main. Cette radicalité de Scream Dream en fait sa force.

     Artistiquement, Scream Dream marque la fin d'une époque pour Ted Nugent: celle des albums enregistrés pour le compte de Epic Records, la meilleure. Les albums suivants du Motor City Madman, qui signera entre temps sur le label Atlantic ne retrouveront plus cette intensité.

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14 octobre 2013

Pachelbel - Canon et Gigue en ré (analyse)

Johann Pachelbel - Canon et Gigue en



1 - Canon
2 - Gigue




     Toutes versions, adaptations, et autres relectures additionnées, combien de vues sur YouTube? Dix millions? Au bas mot; 50 millions? probablement; 100 millions? c'est possible; mais combien de réellement recevables stylistiquement? Peut-être une dizaine tout au plus. Le Canon de Johann Pachelbel (1653-1706), en concurrence avec cette autre scie qu'est l'Adagio d'Albinoni, est la page de musique classique la plus malmenée par ses interprètes; sur YouTube les preuves sont accablantes! Des sentimentaux qui lui collent des pizzicati d'altos en arpèges, très petits chatons de carte postale, aux guitar heroes qui le lardent de power chords, en passant par les "profanateurs" qui le variétisent alla Rondo Veneziano, rien n'aura été epargné à ce pauvre canon. On en finirait par oublier que l'oeuvre n'est pas aussi mauvaise que sa réputation, qui depuis la version/révélation de Jean-François Paillard l'a devancé.

     Si le trop fameux Adagio d'Albinoni, que beaucoup croient être d'Albinoni lui-même (1671- 1751) date en réalité de 1945 et n'est qu'un pastiche dû à la plume du musicologue Remo Giazzotto*, le Canon de Pachelbel est plus vraisemblablement authentique. En 1919, le musicologue allemand Max Seiffert s'attelle à une édition imprimée des oeuvres de Pachelbel,  alors essentiellement réputé pour sa musique d'orgue - dès la fin du XVIIème siècle, le jeune Jean-Sébastien Bach en recopiait déjà la musique, la nuit en cachette de son frère aîné! C'est dans une bibliothèque de Berlin, que Seiffert, au cours du dépouillement d'un fond d'archives, exhume entre autres manuscrits inédits de l'auteur, la fameuse relique: une copie manuscrite du Canon par un auteur anonyme**. Un collègue de Seiffert, Gustav Beckmann, sans doute stimulé par cette découverte, publie la même année une étude, Johann Pachelbel als Kammerkomponistle Canon dont c'est là la première édition est reproduit en appendice de l'étude, et se voit pour la première fois - mais non la dernière - amputé de sa gigue. Les interprètes oublieront ainsi souvent que, comme son titre complet Canon et Gigue l'indique, à ce célebrissime canon fait suite une gigue. Si l'on suppose que ces Canon et Gigue sont eux mêmes les seuls rescapés d'une suite de plus grande ampleur, alors,  il n'y a pas lieu de s'en formaliser**.
     Que nous dit l'analyse de la partition? D'abord que ce Canon est construit sur une progression harmonique - I-V-VI-III-IV-I-IV-V pour être complet - répétée toutes les deux mesures. Ici sans doute réside l'explication à la large audience de la pièce; de ce point de vue le tube posthume de Pachelbel se rapproche d'autant plus d'une grille d'un titre de pop ou de rock qu'il s'éloigne du fondement de la musique classique, son recours à l'écriture, qui par définition lui permet d'accéder à la complexité… mais également de semer quelques auditeurs sur le chemin. Comme l'implacable Boléro de Ravel, qui, trois siècles plus tard répètera son obsédant ostinato rythmique pendant 340 mesures, le Canon de Pachelbel répète sa basse obstinée tout du long de ses 57 mesures; il n'en est que plus imparable. Fixées sur ce rail, Les parties mélodiques des trois violons, en canon donc, se décomposent en douze variations; Tel un filet de miel dans une gorge prise, celles-ci ne sont que tierces et sixtes délicieuses à même d'apaiser l'oreille du mélomane pressé, en quête de grande musique certes, mais à condition qu'elle reste easy listening. Dans la pléthore de versions tout confort disponibles, conduites à un train de sénateur, il aura l'embarras du choix. Quiconque consultera d'ailleurs la partition aura un choc à la vue de sa mesure: 4/4… donc à la noire! Alors pourquoi si souvent prendre ce Canon à la croche et lui donner cette côté tellement petit-bourgeois? Difficile ainsi de se sortir honorablement de la Gigue qui lui fait suite, à moins d'attaquer celle-ci en triplant le tempo, ce qu'on aura bien sûr le bon goût de ne pas faire. De facture française par son écriture imitative elle reste d'esprit italien par sa verve et ses moulinets de croches, d'où la nécessité de la prendre à un tempo vif. C'est avec ce genre d'oeuvres qu'on  mesure le mieux l'apport des interprétations «historiquement renseignées» et le dépoussiérage qu'elles ont effectué sur le répertoire baroque. La version idéale en fait partie: Rheinard Goebel, ensemble Musica Antiqua Köln (1995). La Rolls des formations sur instruments anciens allie une insolente somptuosité orchestrale avec la connaissance du style des baroqueux, pour un résultat d'une séduction instrumentale hélas trop rare dans cette page.

     Bien interprété, le Canon et Gigue de Pachelbel n'est pas le boulet que certains décrivent***. Mieux, l'oeuvre est la voie d'accès privilégiée aux magnifiques Musicalische Ergötzung du même Pachelbel, plus denses, plus nourrissantes. 

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* Alain Duault, «Albinoni n'a pas composé l'adagio qui a fait sa gloire», Le Figaro, 01/01/1970.
** Norbert Mülleman, préface de l'oeuvre, éditions Henle.
*** Le symphoman, «Le canon de Pachelbel l'est-il vraiment?», publié sur Qobuz le 20/11/2012.


Le Canon de Pachelbel dans la version superlative du Musica Antiqua  Köln: 



30 septembre 2013

jean-Michel Pilc Trio - Live At Sweet Basil vol. 2 (chronique jazz)

Jean-Michel Pilc Trio - Live At Sweet Basil vol. 2 (2000)



1 - Honeysuckle Rose
2 - On Green Dolphin Street
3 - My Funny Valentine
4 - 262
5 - Bessie's Blues
6 - My Köln Concert
7 - Tea For Two
8 - Together
9 - All Blues


Album disponible à l'écoute sur Deezer en cliquant ici

     
     Depuis près de 25 ans maintenant avec son premier album solo Funambule (1989), Jean-Michel Pilc déstructure les standards, leur infligeant les plus radicales distorsions, pour mieux en faire ressortir un pouvoir de subversion insoupçonné. Le jazz de cet ancien ingénieur au Centre National d'Études Spatiales, en soliste ou en sideman, est celui d'un autodidacte anticonformiste, souvent iconoclaste: les «So What», «Giant Steps», et autres «My Funny Valentine», c'est à rebrousse-poil qu'il les "caresse". Si en sideman Jean-Michel Pilc a pu discipliner son jeu, notamment sur le très beau Midnight Sun (2004) d'Elisabeth Kontomanou, en trio avec François Moutin à la basse et Ari Hoenig à la batterie, le pianiste poursuit depuis 1997 une carrière explosive. Le double Live At Sweet Basil paru en 2000 est une réunion au disque de deux concerts distincts: les 25 et 28/02/1999 pour le premier volume et le 24/04/2000 pour le second. Si à deux ans d'écart on y retrouve les mêmes qualités, le second volume à l'avantage d'être plus fourni en classiques du Real Book.

     Qu'elle semble loin la bonhomie espiègle de Fats Waller sur cette version anguleuse et métallique de «Honeysuckle Rose» qui débute le set. C'est en filigrane que le standard de Waller, qui abandonne ici sa jovialité stride originelle pour des lignes éclatées, parcourt toute la pièce. Entrecoupées de glissandi teigneux du pianiste qui semble vouloir lacérer le clavier, des bribes du thème, appuyées jusqu'à en être surtimbrées, permettent pour qui en doute de s'assurer que c'est bien «Honeysuckle Rose» qui est joué là. Le trio Pilc/Moutin/Hoenig récidivera avec «So What» sur l'album Welcome Home deux plus tard, en répétant sur un mode maniaque le motif fameux du standard de Kind Of Blue, pour paradoxalement mieux se distancier la plupart du temps de son esprit cool. Sur ce Live At Sweet Basil, si Moutin est globalement plus en retrait, la rapidité des réflexes de Hoenig à la batterie, au plus près des intentions du pianiste est à saluer. «On Green Dolphin Street» le voit particulièrement inspiré, en particulier à la toute fin du morceau, quitte à mordre un peu sur l'espace du bassiste; Pilc toujours à ses frasques pianistiques monte déjà bien en température en ce début de set. Il y a chez ce pianiste une hantise de la joliesse, de la consonance trop confortable des accords classés, auxquelles il a toujours préféré les frottements des secondes, septièmes, autant d'intervalles qui écorchent délicieusement l'oreille. Cette jouissance dans la "fausse note" est évidente avec ce motif martelé à 1.44 de «Honeysuckle Rose» comme un fait exprès précédé d'un insolent silence, comme pour le souligner au marqueur rouge! Et pourquoi exposer un thème dans une seule tonalité alors que pour en augmenter les propriétés abrasives, il suffit de le doubler à des intervalles que la théorie bien sûr réprouve? Confère «All Blues» à l'autre extrémité de la tracklist; le thème de Miles Davis, après l'entrée de son motif d'accompagnement, le voit repris au demi-ton supérieur tout là haut, à la main droite… Petrouchka au Sweet Basil! Car il y a du Stravinsky chez Pilc, dans ces lignes émaciées, criardes et ouvertement bitonales. Sur «Tea For Two», comme un peintre cubiste se jouant de la perspective et des volumes, le pianiste français met à plat en les répétant, en butant dessus, ici un bout de phrase, là un motif. Les thèmes, Pilc les expose sous toutes les coutures, en révèle tous les côtés cachés, les potentialités! De ce point de vue, les amateurs de Martial Solal, apprécieront à n'en pas douter les acrobaties thématiques de Pilc, son fils spirituel… un soupçon de brutalité en plus. Ainsi, à une minute du début de cette vieille rengaine de Vincent Youmans, quatre traits: le dernier semble interrompu par accident… avant de se fracasser sur un accord cinglant; tellement cinglant qu'on croit à un bris de verre. Cette sensation de matière que le pianiste arrive à tirer de son instrument, plus qu'étonnante, est surtout d'une audace assez insolente. Le verre pilé de «Tea For Two», mais aussi le métal chauffé à blanc de «Bessie's Blues, ou encore les mitraillement en rafales de «Together» ou la coda de «All blues», avant les dernières déflagrations signalant la fin du set!

     Un jazz brûlant, d'humeur très versatile, d'une grande liberté de style, d'un engagement physique impressionnant, provoquant une sensation de jaillissement extraordinaire.

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16 septembre 2013

Kurtis Blow - Kurtis Blow (album) (chronique rap oldschool)

Kurtis Blow - Kurtis Blow (1980)



1 - Rappin' blow
2 - The Breaks
3 - Way Out West
4 - Throughout Your Years
5 - Hard Times
6 - All I Want In This Word (Is To Find That Girl)
7 - Takin' Care Of Business
8 - Christmas Rappin'




     Pour l'année 1980, la chronologie du rap a surtout retenu le nom du Sugarhill Gang, avec la sortie d'un LP homonyme, et un tube à la clé: «Rapper's delight»; ce sera le tout premier du rap. Kurtis Blow, un autre pionnier du genre et sans doute d'une envergure supérieure, faisait la même année ses débuts au disque avec Kurtis Blow, premier LP de rap à avoir été enregistré sur une major. Huit titres, dont le classique «The Breaks», du funk toujours, parfois même de la soul. Kurtis Blow, c'est l'archétype du rap oldschool de la fin 70'/début 80', musique de danse essentiellement, qui ne pensait encore qu'à l’entertainment, alors que la breakdance était la hype du moment. Le premier rap est en réalité du funk "amélioré", et souvent du très bon funk : Spoonie Gee, Funky four plus one… Instrumental funk + paroles parlé/chanté = rap. C'est la formule qui s'appliquera jusqu'aux expérimentations électro d'Afrika Bambaataa, puis l'alliage rap/métal des Beastie Boys. En neuf années de carrière, de 1980 à 1988, Kurtis Blow sortira huit albums, et suivra avec plus ou moins de bonheur les évolutions de style du rap. Si les trois premiers LP sont funky et festifs, les cinq suivants, à partir d'Ego Trip ont plus difficilement résisté à l'épreuve du temps: samples, beatbox et bruitages aujourd'hui plus datés que modernes.



     L'influence du groupe Chic est décidément immense. Bien avant Daft Punk, bien avant Random Access Memory, les lignes de basses de Bernard Edwards et les cocottes de guitare de Nile Rodgers faisaient déjà école: Sugarhill gang, Queen, Kurtis Blow… «Rappin Blow» est du rap old school assez typique. Son instrumental à la «Good Times» et au groove imperturbable, est le terrain de jeu idéal pour Blow dont le texte, sur un flow très vieille école, respire un ego trip bon enfant: «So just kick off your shoes, let your fingers pop/Kurtis Blow's just about ready to rock». «Rappin blow» aurait pu être LE single de l'album tant on y retrouve les qualité de tube «The Breaks» qui lui succède dans la tracklist: du funk également, un solo de piano à la «Sex Machine», ici intelligemment coloré par un chorus, des paroles insouciantes. Sur «The Breaks» aussi il ne sera question que de taper dans ses mains et de crier «ho-oo» sur une musique à la Chic… Le gangsta rap n'existait pas encore! À vrai dire, Kurtis Blow ne vaut pas tant pour ses textes que pour sa musique: ce premier album du rappeur new-yorkais est avant tout un album de musicien. Derrière le rappeur, ses instrumentistes sont - c'est audible! - tout à leur plaisir de jouer. John Tropea, en bon guitariste de studio, fait le job, toujours très pro; Jamie Delgado aux percussions sur «The Breaks» donne au titre une touche latino et Craig Short se montre très actif à la basse sur  «Takin Care Of Business». Quant au pianiste, qui prendra quant à lui sur l'album rien moins que trois solos, tous excellents, sa prestation sur «Throughout Your Years» distille un plaisir rare, qu'on n'attend pas forcément sur un album étiqueté «rap». Son instrument, riches en harmoniques est superbement enregistré.

     Certes les paroles se font parfois plus concernées, comme dans «Hard Times», mais ce n'est pas «The Message» non plus, et si «The prices going up, the dollars down» encore nuls «Junkies in the alley with a baseball bat» dans les parages. Quant à la ballade soul «All I Want In This Word (Is To Find That Girl)», après «Here I Am» du Sugarhill Gang, mais avant «You Are» de Grandmaster Flash elle est la preuve que la carte du romantisme était encore jouable en 1980 pour un rappeur. Sur cette chanson en particulier, comme le rap de Grandmaster Flash, hésitant entre disco-funk à la Chic, électro-funk à la Afrika Bambaataa, et même soul des plus glamours, celui de Kurtis Blow, se cherche encore. De ce point de vue, cette ballade très premier degré pourra surprendre de prime d'abord. Mais passées l'étonnement, c'est une superbe parenthèse intimiste qui donne pour la seule fois sur l'album l'occasion de chanter au rappeur: sur le fil, toujours à la limite de la fausseté, et c'est tant mieux.  Idem pour «Throughout Your Years»: pouvait on s'attendre après une telle introduction feutrée au Fender Rhodes à un tel flow bondissant. Difficile ici de ne pas esquisser un sourire amusé. Plus contestable en revanche est l'incursion rock sudiste de «Takin Care Of Business», reprise du groupe Bachman Turner Overdrive.



     Kurtis Blow joue, année de sortie oblige, sur deux tableaux. C'est d'abord un album de funk de haute tenue; et puis surtout un document de première importance pour le rap. 

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2 septembre 2013

Juveniles - Juveniles (album) - chronique pop

Juveniles - Juveniles (2013)




1 - We Are Young
2 - Strangers
3 - Logical
4 - Fantasy
5 - Summer Night
6 - Washed Away
7 - All I Ever Wanted Is Your Love
8 - Elisa
9 - Through The Night
10 - Adriatique
11 - Void (In And Out Of The
12 - Through The Night (Yuksek remix) 
13 - Strangers (Jupiter remix)




     Et s'il y avait un malentendu concernant Juveniles? Il ne fait aucun doute qu'avec un tel nom de groupe, ses membres ont voulu condenser en un mot ce qu'est, ou voudrait être, leur musique. Certes une tendance forte du moment dans la pop est au «eighties revival». Bat For Lashes a su retrouver certains des traits les plus séduisants de cette décennie : brillance de la production et mixage spectaculaire. Kindness, avec «Seod», parvient à créer un patchwork de house old school et de new wave aux textures sonores fascinantes. Et si Kavinsky, dans son premier album Outrun, n'a retenu des années 80 que ses aspects les plus datés, au moins la formule du Français, maquillant ces références datées par une production too much a le mérite d'être personnelle. Les Rennais de Juveniles, livrant une reconstitution historique parfois criante du vérité du son new wave, travaillent quant à eux «d'après modèle»…
     

     Le premier titre de l'album, «We Are Young», étant signé d'un groupe nommé Juveniles, aurait pu être un manifeste esthétique: il n'en est rien avec cette chanson alanguie. Sa ligne de basse enrobée, ces chimes fatiguants plombent le titre. Quant à la voix  maniérée de son chanteur, semblant vouloir sonner eighties à tout prix, elle est assez peu phonogénique. Ce single de Juveniles, qui figura un soir en coming next du Grand Journal de Canal + était supposé être "calibré" et plutôt télégénique: un début d'album décevant. La respiration se fait heureusement plus large dès «Stranger», regardant du côté de la pop vitaminée - et pour le coup on ne peut plus juvénile! - de Phoenix. Là, oui ça fonctionne! Sur ce shuffle up-tempo, les kilos en trop de «We are Young» ont fondu: la ligne de basse a gagné en muscle, le chant, toujours problématique, se fait déjà plus articulé, et le solo de guitare électrique à la New Order - sans doute la meilleure idée du titre - font de «Stranger» un titre racé et un des temps forts de l'album. Car de temps forts il y en a malgré tout plus d'un sur cet album. Ainsi «Washed Away», presque un «We Are Young» en bis, mais avec cette fois un «climat». Le motif en accords du début, glacial comme du Depeche Mode, la ligne de chant à peine esquissée, lasse et presque cold wave ont beaucoup de classe… Mais cette voix! Jean-Sylvain Le Gouic semble singer le style pourtant inimitable de Dave Gahan et Jim Kerr. Ces aînés avaient inventé un type de contraste chaud-froid, opposant sensualité du timbre et froideur numérique des instruments. Le Gouic ne nous livre dans le meilleur des cas qu'une trop approximative copie carbone, et souvent agace, la faute d'une voix aux colorations plus ou moins nasales et naturelles selon les titres! Ceci étant dit, les instrumentaux de Juveniles sont souvent très bons, en témoigne «Through The Night». son beat hyper appuyé, le jeu sur les filtres,  ces contrastes marqués entre des couplets minimalistes et des refrains aux nappes de synth brass opulentes grisent… Comme on parle en parfumerie de notes gourmandes, peut-être qu'il existe aussi en musique des sonorités gourmandes. De la même façon, à la fin de «Void (In And Out Of Me)» et après un passage très ambiant, la longue coda, assurée par un Juno 106 pour la basse, et que n'aurait pas renié Kavinsy, plaira aux amateurs de synthés vintages et de sons fat. Mais alors que «Stranger» et «Washed Away» étaient stylés, évoquant ici Depeche Mode ou Simple Minds, là New Order, derrière le trop peu mordant «Void» se cache une influence bien moins avantageuse: Kajagoogoo. «Logical» s'en sort mieux: si ses couplets, la faute à une grille d'accords trop "gentille" sont au niveau du tout venant pop des eighties, les refrains - merci à la guitare électrique là encore - se font plus affutés. À signaler, deux remix en fin d'album, qui, comme tout remix sont bavards et inutilement étirés en longueur.

     Est-il possible d'être juvénile quand on se réfugie à ce point et sans distanciation créative, dans le passé? Peut-importe à vrai dire,  ce n'est là qu'un problème de vocabulaire, car cet album est parfois excellent. Un chanteur au style qu'on aimerait plus personnel et quelques titres dispensables sont sans doute la cause de cette impression en demi-teinte.  

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24 juin 2013

Quarterflash - Quarterflash (album) (chronique soft-rock)

Quarterflash - Quarterflash (1981)





1 - Harden My Heart
2 - Find Another Fool
3 - Critical Times
4 - Valerie
5 - Try To Make It True
6 - Right Kind Of Love
7 - Cruisin' With The Deuce
8 - Love Shoud Be So Kind
9 - Williams Avenue




     Dans le répertoire soft-rock, le saxophone a connu son heure de gloire dans les années 80. Atout charme du slow ultime «Careless Whisper», presque easy-listening dans «The Latest Trick» mais toujours très classe chez Sade, il joue les joker chez Spandau Ballet, Phil Collins ou l'obscur Wang Chung, dans d'efficaces solos. Clarence Clemons lui a donné sa lettres de noblesse dans le rock classique de Bruce Springsteen dont il a fixé l'identité sonore. Rindy Ross, chanteuse et saxophoniste du groupe Quaterflash, fait de l'instrument une composante essentielle du groupe à l'instar de Clemons son modèle, ainsi qu'une arme à l'indéniable potentiel commercial comme les artistes sus-cités. Le style du premier album de ce groupe originaire de l'Oregon est au croisement du rock californien de Fleetwood Mac, des productions de Pat Benatar, et de la powerpop de Blondie. 

     Loin d'être un one single album, se résumant à «Harden My Heart», Quaterflash possède une tracklist solide. Le très affuté «Find Another Fool» respecte parfaitement le cahier des charges de ce hard-rock FM sur lequel Pat Benatar a construit sa carrière; on ne manquera pas au passage d'être troublé des similitudes entre ce titre et «Heartbreaker» de Benatar… Le motif obstiné de guitare à l'intervalle de quinte qui commence le titre de Quaterflash est de ceux qui une fois rentrés dans la tête n'en sortent plus. Des power chords qui rapidement rappliquent en renfort, efficacement secondés par le kick de la batterie sur le refrain, un choeur féminin haut perché en background: le second single de l'album en toute logique… place à laquelle aurait tout aussi bien pu prétendre «Valerie» et «Right Kind Of Love». Sur le thème classique des lendemains amoureux qui chantent, «Valerie», dans un do majeur optimiste de circonstance aurait pu être signé Blondie tant ce mélange de candeur et de désinvolture rock semble être celui du groupe de Parallel Lines. Quant à «Right Kind Of Love», cousu sur le même patron que «Harden My Heart», le riff de sax en possède le même sex-appeal,  et on y retrouve la même habileté d'arrangement, refrains accrocheurs contre couplets «sur la réserve». Si ces quatre titres sont de véritables  singles en puissance, «Cruisin' With The Deuce» et «Try To Make It True» sont d'un caractère plus feutré. La production du premier en particulier, distille un confort d'écoute proche du soft-rock de Fleetwood Mac. Ici encore plus qu'ailleurs, Quaterflash partage avec le groupe anglo-californien ce même sens du refrain imparable. Pour faire bonne mesure, à défaut d'un respect strict de la parité, deux ballades se trouvent aussi sur ce LP. «Love Should Be So Kind», placée entre deux titres mid-tempo est une parenthèse intimiste appréciable. Plongée dans une pénombre harmonique que les touches de piano électriques ne font qu'accentuer, la chanson distille une poésie sonore qu'on n'attendait pas sur un album de cette facture. À l'inverse, l'instrumental de «Critical Times», d'un style très anonyme n'arrange en rien un texte déjà un peu larmoyant. Le rebondissement bienvenu du pont mélodique central fait échapper in-extremis l'auditeur à l'ennui. «Williams Avenue» est sans doute avec ce dernier titre le moment le moins bon de Quaterflash. Non pas que le titre soit ennuyeux, mais à l'inverse du métier sûr du trop sage «Critical Times», ce «Williams Avenue» est d'un style assez improbable. Car entre ce beat disco-funk, et ces cuivres afrobeat, la greffe ne prends pas. Les solos de guitares et de saxophone, en roue libre pendant de trops longs moments, sont assez surprenants sur un album aussi calibré pour les passages sur la bande FM. Quant au solo de violon, il est pour le moins incongru sur ce type de production. Enfin le meilleur avec «Harden My Heart» qu'on a gardé pour la fin bien que la chanson ouvre l'album. Son rythme de shuffle lui imprime d'abord une force de propulsion hautement énergétique,  à l'impact physique quasi assuré: difficile de ne pas taper du pied sur cette chanson. Et le saxophone qui joue le riff, va graver celui-ci dans le marbre des charts des années 80. Texte et musique sont signés Marv Ross, mari de Rindy. Chose étonnante, peu d'évolutions sont à noter par rapport à la version pré-Quarterflash de ce tube, quand le groupe de Rindy et son mari Marv Ross s'appelait encore Seafood Mama et parcourait les bars l'Oregon; tout au plus, une présence renforcé de la rythmique au mixage, et des choeurs additionnels très accrocheur sur les refrains. Même le solo de guitare est conservé.

     Des trois albums de Quaterflash, qui se sépare en 1985 avant une réformation éclair au début des années 90, ce premier est assurément le meilleur.

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17 juin 2013

Deep Purple - Made In Japan (chronique hard-rock)

Deep Purple - Made In Japan (1972)




1 - Highway Star (16/08/72 - Osaka)
2 - Child In Times (16/08/72 - Osaka)
3 - Smoke On The Water (15/08/72 - Osaka)
4 - The Mule (17/08/72 - Tokyo)
5 - Strange Kind Of Woman (16/08/72 - Osaka)
6 - Lazy (17/08/72 - Tokyo)
7 - Space Truckin' (16/08/72 - Osaka)






     En mai 1972 parait Machine Head, le sixième album de Deep Purple. Afin de promouvoir ce nouvel LP du groupe, une tournée s'ensuit réservant une large place à la tracklist de Machine Head.  Trois dates sont prévues au Japon: les 15 et 16 aout à Osaka, le 17 aout à Tokyo. Si Made In Japan, sorti en décembre 72* est une sélection des meilleures prises de ces trois sets, précisons pour être complet, que le quasi homonyme Live In Japan (1993), proposera la quasi intégralité de ces trois soirées. Même si ce dernier reste un passionnant témoignage de l'escale Japonaise de Deep Purple, le jeu des comparaisons, d'un soir à l'autre, montre que les prises conservées pour figurer sur Made In Japan étaient bien les meilleures. Plus encore, ces versions invalident aussi celles de studio présentes sur Machine Head, ainsi qu'In rock (1970) et fireball (1971). Non pas que ces dernières soient fondamentalement mauvaises bien sûr. Mais sur Made In Japan, l'alchimie entre les musiciens est tellement évidente qu'une fois qu'on a gouté à cet album, on devient fatalement exigeant.

     Comme sur Machine Head, c'est «Highway Star» qui lance les hostilités sur Made In Japan. Après quelques arpèges policés de Jon Lord, les applaudissements gagnent peu à peu en volume dans le public, et progressivement, Ian Paice marquant la pulsation, nait de cette matière informe un «Highway Star» incendiaire! Ce titre est sans doute, de tous ceux jouées sur l’album, le plus fidèle à son équivalent studio, les solos d'orgue et de guitare étant peu ou prou repiqués sur la version de Machine Head. Ce qui frappe surtout ici, c’est l'urgence de ce «Highway Star», qui donne tout son sens aux paroles «Nobody gonna beat my car/It's gonna break the speed of sound». Après ce «mur du son», up-tempo comme il se doit, tintent les premières notes de «Child In Time», le «Stairway To Heaven» de Deep Purple. Sur les refrains de cette composition fleuve, Gillan trouve des accents déchirants, une sauvagerie même, absents de la version studio, tout comme ce solo de Lord précédant celui de Blackmore durant la partie centrale; celle-ci, prise beaucoup plus rapidement que sur Machine Head, semble galvaniser le guitariste - ou bien est-ce la présence du public… ou les deux? - qui grave ce soir du 16 aout un grandiose et épique solo de plus trois minutes, d’une conduite magistrale ou chaque note parait marquée du sceau de la necessité! Un brutal break venant interrompre ces salves, la reprise du début, au bord du silence, en est sidérante. Quant au solo de Blackmore sur «Smoke On The Water», un mot le résume: perfection! Chaque phrase, exaltée par un feedback qui semble infini, est d'une beauté mélodique absolue. Les prestations de Blackmore les deux soirs suivants, très différentes et somme toute nettement moins abouties, prouvent que ce 15 aout c'est bien d'improvisation qu'il s'agissait; Prodigieux! Paradoxalement, les questions/réponses entre guitare et voix sur «Strange Kind Of Woman», qui semblent pourtant totalement impromptues sont en réalité pour beaucoup écrites "dans le scénario" et certains échanges se retrouvent à l'identique d'un soir à l'autre… mais justement, la principale qualité de Made In Japan c'est bien cette sensation d'improvisation qui émane de l'album dans son entier, que celle-ci soit réelle ou pas. Sur ce point, «Lazy», un peu à l'étroit en studio, et regardant sans doute trop vers «les jams blues-rock de la décennie précédente»** aura tout à gagner en concert, en particulier ce 17 aout à Tokyo. La compo proprement dite, du rock up-tempo sur une grille de blues, transpire un plaisir de jouer de la musique contagieux. Made In Japan est un live généreux en morceaux de bravoure instrumentale: Jon Lord sur «Lazy», le sus-cité Blackmore, Gillan sur «Child In Time». Quant à Ian Paice, il livre une prestation fabuleuse, bien sûr durant son fameux solo sur «The Mule» mais pas que: son drumming très jazz sur les ponts "lyriques" de «Strange Kind Of Woman» ou encore tout «Space Truckin'» en font peut-être le personnage principal de Made In Japan. «Space Truckin'», contrairement à ce que le minutage du disque indique, ne dure que cinq minutes, comme la version studio. La «cavalcade» qui lui fait suite, est librement inspirée de «Mandrake Root» et l’épisode le plus ambiant possède une ressemblance avec «Fools» sur Fireball. Ces vingt dernières minutes, prennent la forme d'une vertigineuse odyssée sonore, d'une audace narrative inouïe. Et les quelques secondes de silence qui séparent les derniers accords des applaudissements acquièrent, après ces déflagrations, une densité impressionnante.

     Passionnant pour son caractère d'épopée, éblouissant instrumentalement, impressionnant par l'engagement physique et musical des musiciens: Made In Japan est le live de tous les superlatifs.

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* Le live Made In Japan, est paru dès décembre 72 pour le marché européen mais seulement en avril 73 pour les USA.
** Chronique de l'album Machine Head sur le site Destination rock.