24 juin 2013

Quarterflash - Quarterflash (album) (chronique soft-rock)

Quarterflash - Quarterflash (1981)





1 - Harden My Heart
2 - Find Another Fool
3 - Critical Times
4 - Valerie
5 - Try To Make It True
6 - Right Kind Of Love
7 - Cruisin' With The Deuce
8 - Love Shoud Be So Kind
9 - Williams Avenue




     Dans le répertoire soft-rock, le saxophone a connu son heure de gloire dans les années 80. Atout charme du slow ultime «Careless Whisper», presque easy-listening dans «The Latest Trick» mais toujours très classe chez Sade, il joue les joker chez Spandau Ballet, Phil Collins ou l'obscur Wang Chung, dans d'efficaces solos. Clarence Clemons lui a donné sa lettres de noblesse dans le rock classique de Bruce Springsteen dont il a fixé l'identité sonore. Rindy Ross, chanteuse et saxophoniste du groupe Quaterflash, fait de l'instrument une composante essentielle du groupe à l'instar de Clemons son modèle, ainsi qu'une arme à l'indéniable potentiel commercial comme les artistes sus-cités. Le style du premier album de ce groupe originaire de l'Oregon est au croisement du rock californien de Fleetwood Mac, des productions de Pat Benatar, et de la powerpop de Blondie. 

     Loin d'être un one single album, se résumant à «Harden My Heart», Quaterflash possède une tracklist solide. Le très affuté «Find Another Fool» respecte parfaitement le cahier des charges de ce hard-rock FM sur lequel Pat Benatar a construit sa carrière; on ne manquera pas au passage d'être troublé des similitudes entre ce titre et «Heartbreaker» de Benatar… Le motif obstiné de guitare à l'intervalle de quinte qui commence le titre de Quaterflash est de ceux qui une fois rentrés dans la tête n'en sortent plus. Des power chords qui rapidement rappliquent en renfort, efficacement secondés par le kick de la batterie sur le refrain, un choeur féminin haut perché en background: le second single de l'album en toute logique… place à laquelle aurait tout aussi bien pu prétendre «Valerie» et «Right Kind Of Love». Sur le thème classique des lendemains amoureux qui chantent, «Valerie», dans un do majeur optimiste de circonstance aurait pu être signé Blondie tant ce mélange de candeur et de désinvolture rock semble être celui du groupe de Parallel Lines. Quant à «Right Kind Of Love», cousu sur le même patron que «Harden My Heart», le riff de sax en possède le même sex-appeal,  et on y retrouve la même habileté d'arrangement, refrains accrocheurs contre couplets «sur la réserve». Si ces quatre titres sont de véritables  singles en puissance, «Cruisin' With The Deuce» et «Try To Make It True» sont d'un caractère plus feutré. La production du premier en particulier, distille un confort d'écoute proche du soft-rock de Fleetwood Mac. Ici encore plus qu'ailleurs, Quaterflash partage avec le groupe anglo-californien ce même sens du refrain imparable. Pour faire bonne mesure, à défaut d'un respect strict de la parité, deux ballades se trouvent aussi sur ce LP. «Love Should Be So Kind», placée entre deux titres mid-tempo est une parenthèse intimiste appréciable. Plongée dans une pénombre harmonique que les touches de piano électriques ne font qu'accentuer, la chanson distille une poésie sonore qu'on n'attendait pas sur un album de cette facture. À l'inverse, l'instrumental de «Critical Times», d'un style très anonyme n'arrange en rien un texte déjà un peu larmoyant. Le rebondissement bienvenu du pont mélodique central fait échapper in-extremis l'auditeur à l'ennui. «Williams Avenue» est sans doute avec ce dernier titre le moment le moins bon de Quaterflash. Non pas que le titre soit ennuyeux, mais à l'inverse du métier sûr du trop sage «Critical Times», ce «Williams Avenue» est d'un style assez improbable. Car entre ce beat disco-funk, et ces cuivres afrobeat, la greffe ne prends pas. Les solos de guitares et de saxophone, en roue libre pendant de trops longs moments, sont assez surprenants sur un album aussi calibré pour les passages sur la bande FM. Quant au solo de violon, il est pour le moins incongru sur ce type de production. Enfin le meilleur avec «Harden My Heart» qu'on a gardé pour la fin bien que la chanson ouvre l'album. Son rythme de shuffle lui imprime d'abord une force de propulsion hautement énergétique,  à l'impact physique quasi assuré: difficile de ne pas taper du pied sur cette chanson. Et le saxophone qui joue le riff, va graver celui-ci dans le marbre des charts des années 80. Texte et musique sont signés Marv Ross, mari de Rindy. Chose étonnante, peu d'évolutions sont à noter par rapport à la version pré-Quarterflash de ce tube, quand le groupe de Rindy et son mari Marv Ross s'appelait encore Seafood Mama et parcourait les bars l'Oregon; tout au plus, une présence renforcé de la rythmique au mixage, et des choeurs additionnels très accrocheur sur les refrains. Même le solo de guitare est conservé.

     Des trois albums de Quaterflash, qui se sépare en 1985 avant une réformation éclair au début des années 90, ce premier est assurément le meilleur.

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17 juin 2013

Deep Purple - Made In Japan (chronique hard-rock)

Deep Purple - Made In Japan (1972)




1 - Highway Star (16/08/72 - Osaka)
2 - Child In Times (16/08/72 - Osaka)
3 - Smoke On The Water (15/08/72 - Osaka)
4 - The Mule (17/08/72 - Tokyo)
5 - Strange Kind Of Woman (16/08/72 - Osaka)
6 - Lazy (17/08/72 - Tokyo)
7 - Space Truckin' (16/08/72 - Osaka)






     En mai 1972 parait Machine Head, le sixième album de Deep Purple. Afin de promouvoir ce nouvel LP du groupe, une tournée s'ensuit réservant une large place à la tracklist de Machine Head.  Trois dates sont prévues au Japon: les 15 et 16 aout à Osaka, le 17 aout à Tokyo. Si Made In Japan, sorti en décembre 72* est une sélection des meilleures prises de ces trois sets, précisons pour être complet, que le quasi homonyme Live In Japan (1993), proposera la quasi intégralité de ces trois soirées. Même si ce dernier reste un passionnant témoignage de l'escale Japonaise de Deep Purple, le jeu des comparaisons, d'un soir à l'autre, montre que les prises conservées pour figurer sur Made In Japan étaient bien les meilleures. Plus encore, ces versions invalident aussi celles de studio présentes sur Machine Head, ainsi qu'In rock (1970) et fireball (1971). Non pas que ces dernières soient fondamentalement mauvaises bien sûr. Mais sur Made In Japan, l'alchimie entre les musiciens est tellement évidente qu'une fois qu'on a gouté à cet album, on devient fatalement exigeant.

     Comme sur Machine Head, c'est «Highway Star» qui lance les hostilités sur Made In Japan. Après quelques arpèges policés de Jon Lord, les applaudissements gagnent peu à peu en volume dans le public, et progressivement, Ian Paice marquant la pulsation, nait de cette matière informe un «Highway Star» incendiaire! Ce titre est sans doute, de tous ceux jouées sur l’album, le plus fidèle à son équivalent studio, les solos d'orgue et de guitare étant peu ou prou repiqués sur la version de Machine Head. Ce qui frappe surtout ici, c’est l'urgence de ce «Highway Star», qui donne tout son sens aux paroles «Nobody gonna beat my car/It's gonna break the speed of sound». Après ce «mur du son», up-tempo comme il se doit, tintent les premières notes de «Child In Time», le «Stairway To Heaven» de Deep Purple. Sur les refrains de cette composition fleuve, Gillan trouve des accents déchirants, une sauvagerie même, absents de la version studio, tout comme ce solo de Lord précédant celui de Blackmore durant la partie centrale; celle-ci, prise beaucoup plus rapidement que sur Machine Head, semble galvaniser le guitariste - ou bien est-ce la présence du public… ou les deux? - qui grave ce soir du 16 aout un grandiose et épique solo de plus trois minutes, d’une conduite magistrale ou chaque note parait marquée du sceau de la necessité! Un brutal break venant interrompre ces salves, la reprise du début, au bord du silence, en est sidérante. Quant au solo de Blackmore sur «Smoke On The Water», un mot le résume: perfection! Chaque phrase, exaltée par un feedback qui semble infini, est d'une beauté mélodique absolue. Les prestations de Blackmore les deux soirs suivants, très différentes et somme toute nettement moins abouties, prouvent que ce 15 aout c'est bien d'improvisation qu'il s'agissait; Prodigieux! Paradoxalement, les questions/réponses entre guitare et voix sur «Strange Kind Of Woman», qui semblent pourtant totalement impromptues sont en réalité pour beaucoup écrites "dans le scénario" et certains échanges se retrouvent à l'identique d'un soir à l'autre… mais justement, la principale qualité de Made In Japan c'est bien cette sensation d'improvisation qui émane de l'album dans son entier, que celle-ci soit réelle ou pas. Sur ce point, «Lazy», un peu à l'étroit en studio, et regardant sans doute trop vers «les jams blues-rock de la décennie précédente»** aura tout à gagner en concert, en particulier ce 17 aout à Tokyo. La compo proprement dite, du rock up-tempo sur une grille de blues, transpire un plaisir de jouer de la musique contagieux. Made In Japan est un live généreux en morceaux de bravoure instrumentale: Jon Lord sur «Lazy», le sus-cité Blackmore, Gillan sur «Child In Time». Quant à Ian Paice, il livre une prestation fabuleuse, bien sûr durant son fameux solo sur «The Mule» mais pas que: son drumming très jazz sur les ponts "lyriques" de «Strange Kind Of Woman» ou encore tout «Space Truckin'» en font peut-être le personnage principal de Made In Japan. «Space Truckin'», contrairement à ce que le minutage du disque indique, ne dure que cinq minutes, comme la version studio. La «cavalcade» qui lui fait suite, est librement inspirée de «Mandrake Root» et l’épisode le plus ambiant possède une ressemblance avec «Fools» sur Fireball. Ces vingt dernières minutes, prennent la forme d'une vertigineuse odyssée sonore, d'une audace narrative inouïe. Et les quelques secondes de silence qui séparent les derniers accords des applaudissements acquièrent, après ces déflagrations, une densité impressionnante.

     Passionnant pour son caractère d'épopée, éblouissant instrumentalement, impressionnant par l'engagement physique et musical des musiciens: Made In Japan est le live de tous les superlatifs.

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* Le live Made In Japan, est paru dès décembre 72 pour le marché européen mais seulement en avril 73 pour les USA.
** Chronique de l'album Machine Head sur le site Destination rock.

3 juin 2013

Beethoven - sonate pour violon et piano en sol majeur, op. 30 n° 3 (analyse)

Beethoven - 

Sonate pour violon et piano en sol majeur, opus 30 n° 3 (1803)



1 - Allegro Assai
2 - Tempo di Minuetto, ma molto moderato e grazioso
3 - Allegro Vivace




     Trois grands massifs dominent l'oeuvre beethovenien: les symphonies, les quatuors à cordes, les sonates pour piano. La représentation de Beethoven que l'on se fait aujourd'hui, on la doit à ces pages: l'évolution créatrice vertigineuse du compositeur, on la mesure plus que tout dans ces trois corpus. De ce fait, ce sont eux qui ont suscité le plus d'interprétations: musicologiques et instrumentales. Les sonates pour violon et piano, quoique de facture plus invariablement classique, restent pour autant des piliers du répertoire. Beethoven qui aimait beaucoup le violon, le pratiquant en amateur, composera pour lui ses pages les plus sereines, parmi lesquelles ses dix sonates pour violon et piano*. Les trois sonates de l'opus 30 ont été composées durant l'année décisive de 1802, celle où Beethoven prend conscience de sa surdité irrémédiable. Si l'opus 30 n° 2 annonce déjà la nouvelle manière dite «héroïque» du compositeur, les sonates l'encadrant sont plus classiques de style.


     Un premier motif en gammes, à l'unisson du violon et du piano, tourbillonne sur lui même, avant un irrésistible envol d'arpèges Crescendo: ce départ est d'une vigueur toute beethovenienne. Une seconde idée, toujours dans la tonalité principale, est présentée au piano puis reprise par le violon sur de sereines harmonies de sixte; son caractère mélodieux, le changement de texture, apportent une réponse exquise à la phrase initiale. Le véritable second thème, à la dominante mineure , se voit zébré de fébriles trémolos  tour à tour par le violon puis le piano qui en accentue le caractère frondeur. Les oreilles les plus attentives remarqueront la codetta de l'exposition, amusante a posteriori, en batteries de doubles croches à la main gauche du piano, sous des octaves piquées de la droite, avec ses sforzando en syncopes: n'est-ce pas la matrice de la quatrième étude de L'art de délier les doigts de Czerny, le plus illustre élève de Beethoven? Le développement, très resseré, n'à guère le temps d'installer une quelconque dramatisation. Sa progression est toutefois intéressante; construit d'abord sur une cellule de la codetta passant dans les tonalités de la mineur, si mineur et do dièse mineur, il exploite ensuite dans un parcours modulant inverse - do dièse , si, la - le motif liminaire du mouvement. Une vigoureuse descente en gammes, crescendo annonce la réexposition, tout à fait régulière.
     On a souvent pointé du doigt la supposée faiblesse mélodique de la musique de Beethoven**. C'est faire là un mauvais procès au compositeur dont la technique s'est souvent nourrie du matériau mélodique le plus ordinaire, pour mieux le tailler, le polir, ici le dissimuler à l'intérieur de la polyphonie, là le caler à la basse: faire court et prégnant, voilà la clé, en atteste le grandiose premier mouvement de la Cinquième Symphonie. Mais les «beaux thèmes» sont réels chez Beethoven. Celui commençant le mouvement de cette sonate en fait partie. Il est exposé par le piano dans la tonalité de mi bémol majeur, puis repris par le violon. Est-ce son motif de tête en rythmes pointés qui lui donne cette noblesse de maintien? Le soin apporté à la conduite de sa basse en noires égales? Sa progression faite de courtes cellules insensiblement variées? Probablement un peu des trois. Cette mélodie est à mon sens la plus belle inspiration mélodique de Beethoven, qui, bien inspiré s'en sert comme d'un fil rouge tout au long de cet ample mouvement.
     La bonne humeur: voilà un trait de caractère saillant de la musique de Beethoven! loin des méditations métaphysiques des derniers quatuors et sonates pour piano, on trouve aussi chez lui cette robuste gaieté, a fortiori dans ses jeunes années. Le Finale de la Sonate opus 30 n° 3 est imprégné de cette bonne humeur. Comme le Finale de la  symphonie «L'Ours» de Haydn, autre plaisantin notoire du moment, et dont Beethoven est le fils spirituel, ce rondo exhale un fumet rustique des plus appétissants. Le piano déroule un ruban ininterrompu de doubles croches, solidement campées sur une pédale de tonique en valeurs longues: ce bourdon confère d'emblée un caractère populaire à cet Allegro Vivace. Puis le violon expose le thème principal, où du moins ce qui en fait office: un motif ascendant on ne peut plus élémentaire… et donc tout à fait beethovenien! Un premier couplet consistant en formules cadentielles, un deuxième au relatif mineur reprenant le motif initial, un troisième plus développé et aventureux harmoniquement, s'enchainent. La coda, par le moyen d'un emprunt au sixième degré abaissé débute dans une étrange tension: c'est pour mieux revenir à la tonalité principale, et pour une fin d'autant plus éclatante.

     La sonate pour violon et piano la plus populaire de Beethoven a toujours été, et sera toujours la cinquième, opus 24 «Le Printemps»: laissons-la un moment et réécoutons cette réjouissante Sonate en sol majeur opus 30 n° 3. 


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* Maynard Solomon, Beethoven, Fayard, 2003, p. 148-149.
** Leonard Bernstein le fit, concernant les Sixième et Septième Symphonies du compositeur, lors de miniséries télévisées diffusées en 1982 sur CBS, ceci pour en mieux vanter la puissance rythmique et le génie structurel. On pourra visionner cette vidéo d'un internaute, qui apporte une réponse argumentée à Berstein.