25 février 2013

Tears For Fears - The Seeds Of Love (chronique pop-rock)



Tears For Fears - The Seeds Of Love (1989)




 1 - Woman In Chains
2 - Badman's Song
3 - Sowing The Seeds Of Love
4 - Advice For The Young At Heart
5 - Standing On The Corner Of The Third World
6 - Swords And Knives
7 - The Year Of The Knives
8 - Famous Last Words





     «Malgré ses ambitions et son talent, Tears For Fears n'a pourtant jamais dépassé une certaine froideur clinique» regrette Mischka Assayas dans son Dictionnaire du rock. Froideur ça se discute, mais clinique, le mot est mal choisi. Que les albums The Hurting (1982) et Songs From The Big Chair, synthétiques et new-wave, soient froids, c'est entendu. Mais The Seeds Of Love, plus noir, mâtiné de soul et de gospel, non! Car si froideur il y a, celle-ci se situe en aval de la musique, au niveau de la production, à l'effet «papier glacé» à force de beauté plastique. Somptueuse et somptuaire -  la réalisation de ce disque coûta  plus d'un million de livre sterling - elle pourrait faire passer Dark Side Of The Moon pour du rock lo-fi. Les huit titres de The Seeds Of Love,  sont d'une qualité, de composition, d'arrangements, de mixage/production inouïe, qui jamais n'intimide mais bien au contraire séduit, puis subjugue!  Enfin, en plus d'être un grand moment de musique cet album est un objet désirable: pochette magnifique et baroque, dont la profusion de détails et les couleurs éclatantes semblent un clin d'oeil à celle du Sergent Pepper's des Beatles.


     Les mesures introductives de la superbe «Woman In Chains», révèlent un art de la mise en scène sonore admirable. Ici un gimmick de basse, là une descente de toms, une ponctuation de charley qui trahissent un perfectionnisme maniaque, et qui loin d'anesthésier l'émotion la révèlent. La chanson, aborde un sujet sensible, celui des femmes battues. Oleta Adams, ardente et à la sincérité non feinte, vient dès le début de cet album presque parfait, briser la glace et donner à «Woman In Chains» sa profondeur. Les arrangements, magnifiques, font progressivement gagner la chanson en ampleur et feront de ce single un immense succès public, à juste titre. Parler d'orfèvrerie musicale pour qualifier cette chanson n'est pas excessif, de même que pour le fascinant «Standing On The Corner Of The Third World». Les accords ici, qui à défaut d'être ceux du jazz sont tout juste «jazzy», enrichis  d'à peine quelques avantageuses septièmes, s'il n'y avait qu'eux, ne seraient rien. Leurs enchainements habiles et sinueux tirent déjà la musique vers une sophistication certaine. L'effectif instrumental pléthorique, les alliages de timbres éblouissants, étourdissants, produisent, eux, des variations de lumières véritablement kaléidoscopiques. Ironie non des moindres, ce titre au grand coeur sur le tiers-monde, «the third world»,  n'a recours pour le dépeindre à rien de moins qu'à une débauche de moyens sonores et musicaux d'un luxe si ostentatoire qu'il en est réellement insolent! Après cette pépite soul, «Badman's Song»  tire l'album du côté du gospel: plus précisément d'une fastueuse «reconstitution» car rien n'est plus éloigné de la ferveur et de spontanéité du gospel que «Badman's Song», à la mise en place millimétrée et aux mille détails soigneusement agencés. Le travail de production - qui laisse pantois - rend ce titre jubilatoire. La pianiste et chanteuse de jazz Oleta Adams hisse, par sa prestation, la musique à un niveau de jeu rarement entendu sur un album de pop ou de rock.  Il est rare qu'un tel plaisir physique de jouer de la musique transparaisse à ce point dans ce repertoire. Les versions live de la chanson donnent à entendre des musiciens d'un niveau réellement impressionnant. Et sur «Sowing The Seeds Of Love», la performance vocale de Roland Orzabal est juste bluffante. Le flow du chanteur, très au fond du temps, son timbre mat et mordoré sont la preuve qu'en plus d'être un songwritter doué, le chanteur sait être un interprète exceptionnel: sa reprise, "copie carbone" de «Ashes To Ashes» l'a rappelé par le passé. Cette très beatlesienne «Sowing The Seeds Of Love» fait revivre les productions chamarrées de Georges Martin pour les albums Magical Mistery Tour et Sergent Pepper's des Fab Four.  Chanson à tiroir, pleine de digressions, de pont, de courts solos, elle prend des allures de symphonie pop. Même le très limpide «Year Of The Knive», titre le plus speed et accrocheur de l'album - et peut-être également le moins subtil - s'autorise également ces raffinements de structure; ainsi cette plongée en eaux troubles entre un solo de guitare et un couplet. Placé entre la salve de cet dernier titre et le flamboyant «Standing On The Corner Of The Third World», «Swords And Knives» parait sobre en comparaison, tout comme le très vespéral «The Famous Last Words» qui clot ces cinquante minutes de pur plaisir dans une sourde tristesse. Ce triptyque est introduit par un piano minéral et pensif, un Roland Orzabal revenu de tout et apaisé, sur des harmonies minimales. «After the wash/Before the fire», car feu il y a: celui d'un rock classique et au goût très sûr mais néanmoins plein de panache avant le retour de la première partie.

Un album d'une richesse inépuisable.

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18 février 2013

Émilie Simon - The Big Machine (chronique synth-pop)

Émilie Simon - The Big Machine (2009)


 

1 - Rainbow
2 - Dreamland
3 - Nothing To Do With You
4 - Chinatown
5 - Ballad Of The Big Machine
6 - The Cycle
7 - Closer
8 - The Devil At My Door
9 - Rocket To The Moon
10 - Fools Like Us
11 - The Way I See You
12 - This Is Your World




     «Je laisse aller, me laisse inhaler, mon opium» avouait Émilie Simon sur son dernier album, Végétal (2006). Alors qu'a t-elle pris pendant l'enregistrement de The Big Machine? A t-elle inhalé de l'hélium? Cette voix, ce disque, cette fille, sont complètement déjantés. Les dernières secondes de l'album écoulées, j'ai voulu me rappeler la dernière fois où j'avais ressenti cette exubérance sur un album de pop. Et j'ai trouvé: Cindy Lauper, She's So Unusual (1983). Il y a du Cindy Lauper en Émilie Simon! Après l'unanimité autour du très soigné Végétal, The Big Machine a beaucoup divisé. Trop référencé, trop eighties, trop kitsch. Végétalplus introverti, n'a pas la spontanéité de The Big Machine, qui en prend esthétiquement le contrepied. Moins unifié et «conceptualisé» que son prédécesseur, ce nouvel album lui est peut-être pourtant supérieur. 

     Les premières mesures de «Rainbow» donne le ton de The Big Machine tout comme celles d'«Alicia» donnait le ton de Végétal. Autant «Alicia» était étrange et lunaire, misant sur les demi-teintes, autant «Rainbow» est direct, privilégiant des couleurs primaires saturées. Les paroles d'«Alicia» étaient très ciselées, Rainbow pioche dans les idiomatismes de la pop anglo-saxonne. Pas grave: le titre libère d'emblée cette énergie positive qui jamais ne quittera l'album. Le refrain a la simplicité de l'évidence. Cet album, n'était le style vocal théâtral de l'artiste,  n'évoque Kate Bush que d'assez loin la plupart du temps, excepté sur «Nothing To Do With You». Le voilà le fameux titre qui rappelle tant l'artiste anglaise période «Babooshka». Alors oui, par moments la resemblance est troublante. Et oui, les toms un peu tribaux et les choeurs additionnels évoquent de loin  Hounds Of Love (1985).
     Le son de la pop eighties occupe une place importante sur The Big Machine. Les premières mesures au beat lourd de «Dreamland», son gimmick mélodique et synthétique, ont tout à fait leur place entre «Electricity» d'OMD et «Everything Counts» de Depeche Mode, au même grain sonore. The Big Machine procède par larges touches de synthés vintages. «The Cycle», un titre up-tempo est un des temps forts de l'album. Comme sur «Dreamland»,  l'influence de la new-wave anglaise est là encore nettement audible. L'instrumental fourmille de détails sonores, comme d'ailleurs tout l'album, et donne une impression de vitalité extraordinaire à cette musique. Mais c'est avec la très kitsch et sucrée «Closer» que les années 1980 sont les plus perceptibles: de retour les Simmons SDSV et leurs pads octogonaux. De retour le son de l'italo-disco… Et ça passe! Haut la main même, tant la générosité mélodique est grande. Quant à «Rocket To The Moon», ceux et celles qui ont aimé Kid Créole And The Coconuts  aimeront sans doute les premières mesures de ce titre car c'est la même formule gagnante qui y est appliquée: des cuivres tout droit sortis d'un big band des années 30, matinés de pop léchée. Des claquements de doigts, quelques «baby, baby» ternaires et jazzy pour un résultat musical léger et festif. Le refrain, pop et coloré, est addictif encore et toujours!
     Deux ballades sur ce disque. «Ballad Of The Big Machine», aux belles harmonies, débute de façon étonnament sobre sur le plan vocal, une fois n'est pas coutume. Répit de courte durée avant un final incendiaire. Émilie Simon minaude, et puis soudain l'émotion s'empare de l'auditeur. «Fools Like Us», après un début qui rappelle l'artiste période Végétal retrouve cette nouvelle signature vocale. Le titre  délaisse cette fois la langue anglaise pour le français.
     Quelques titres ont des productions plus actuelles. Sur le très dance «The Way I see You», les paroles du refrain, seulement soutenues par le piano laissent enfin le loisir d'apprécier la voix de la belle, presque a cappellaEt quelle voix! Chipie, acidulée, agaçante et désarmante. L'impact à l'écoute de cet album réside précisément dans ce qu'on a pu lui reprocher: son extraversion vocale: la voix d'Émilie Simon est le personnage principal de The Big Machine. Modulée à l'extrême, elle minaude sur «The Devil At My Door», acomplit des acrobaties Katebushiennes sur «Nothing To Do With You», trépigne sur «Chinatown», mais sait aussi être simplement émouvante sur «Ballad Of The Big Machine»Alliée d'une imagination et d'une prégnance mélodique de tous les instants, cette voix les sublime. «This Is Your World», est le bouquet final de ce feu d'artifice sonore d'où l'on ressort un peu épuisé mais comblé.

     The Big Machine est une imparable collection de popsongs, aux instrumentaux accrocheurs et refrains qui font mouche. Un album irrésistible.

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11 février 2013

Rameau - Nouvelles suite de pièces de clavecin (analyse)

Jean-Philippe Rameau - Nouvelles Suites de pièces de clavecin (1728)
Suite en la




1 - Allemande
2 - Courante
3 - Sarabande
4 - Les Trois Mains
5 - Fanfarinette
6 - La Triomphante
7 - Gavotte et ses Doubles

La Suite en la interprétée par Frédérick Haas  
sur un clavecin Henri Hemsch de 1751




     École française de clavecin: derrière cette appellation a posteriori et musicologique se trouve un vivier de compositeurs passionnants et un apogée musical pour la musique française de la période baroque. Jacques Champion de Chambonnières (1601-1672) est le «père fondateur» de cette École, en composant le premier livre de pièces de clavecin édité en France en 1670, bien que composé à une date nettement antérieure. Jacques Duphly (1715-1789), d'une certaine manière la ferme, en étant le dernier musicien à consacrer l'intégralité de son œuvre au clavecin, déjà en passe d'être délaissé au profit du nouveau piano-forte. Quant à Jean-Philippe Rameau (1683-1764), il est devenu, au fil du temps, et avec François Couperin (1668-1733), le plus illustre représentant de cette école, par la qualité de sa production. Rameau laisse trois livres de pièces de clavecin, édités en 1706, 1724 et 1728: en tout cinq suites. La Suite en la est la quatrième. 
     Cette suite comporte bien sûr sont lot de pièces de danse. Les trois premières, Allemande, Courante, Sarabande, viennent rappeler que la suite instrumentale baroque, aussi stylisée et écrite soit-elle, reste d'origine dansée. Mais à leur suite, et en nombre presque égal, des morceaux pittoresques: Les Trois Mains, Fanfarinette, La Triomphante. Un air varié conclut la suite. Description par le menu. 

     On a dit Rameau hautain, cassant, brusque, agressif, avare. C'est tout l'inverse qu'on entend dans cette Allemande liminaire, ardente. Toute frémissante de ses «agréments», le terme français d'alors pour les notes ornementales, elle est d'une exceptionnelle expressivité: la levée mélodique ascendante du début, prolongée quelques mesures plus loin en tierces qui semblent ne jamais devoir prendre fin, est suffocante d'émotion. Que le terme d'Allemande parait soudain froid devant tant de beautés. C'est L'Implorante que Rameau aurait dû titrer cette page, tant la voix du coeur est audible ici; cette pièce mérite amplement sa place au panthéon du clavecin baroque. Et Rameau sur un piano moderne? La Courante, dont chacun des innombrables sauts de quarte atterrit sur un «mordant», ce battement très rapide entre deux notes conjointes, tranche le débat sur le choix de l'instrument pour la musique de clavier ramiste; clavecin assurément, dont la mécanique légère, la sonorité incisive, colorée, sont les seules capable de rendre la vigueur rythmique et la luxuriance ornementale de cette musique. Combien paraîtrait fade la sonorité d'un piano moderne à côté. La Sarabande, noble et altière gagne en beauté à mesure que son interprète retient le tempo, ce qu'ose Blandine Rannou dans son intégrale du clavecin du compositeur en 2001, avec la version la plus longue de la discographie: la pièce perd en maintien aristocratique ce qu'elle gagne en intériorité et émotion contenue.
     Les Trois Mains, c'est l'effet auditif de cette main gauche qui alternativement est à gauche du clavier, ou bien dans les aigus, en passant par dessus la main droite. Le Procédé d'écriture a été largement employé à l'époque romantique chez Chopin, Liszt, et n'étonne plus personne aujourd'hui, bien qu'étant novateur à l'époque. Qui est Fanfarinette auquel renvoie le titre de la cinquième pièce? Qu'importe, car c'est aussi cela le clavecin baroque français, ou la beauté de la musique le dispute à la poésie des titres: La Toute Belle de Champion de Chambonnières, L'Inconstante de Jacquet de La Guerre, Les Tendre reproches de Dandrieu, L'Incomparable chez Le Roux… et presque tout François Couperin dont les seules Barricades mystérieuses pourraient assurer l'immortalité. De caractère paisible et confiant, Fanfarinette est une gigue à la mélodie conjointe, en croches caressantes, sur des arpèges de la basse. Dans la seconde partie, les quintes à vides plaquées et rustiques, font sortir Fanfarinette de sa réserve naturelle. La triomphante n'est pas du meilleur Rameau: bavarde et répétitive, il y a peu de musique dans cette page. Contrairement à la Sarabande, l'interprète sera bien inspiré ici en jouant cette Triomphante à un tempo vif afin de l'écourter au possible! 
     La Gavotte et ses six «doubles», en d'autres termes des variations, est en revanche une des pages les plus inspirées de la Suite en la. Forme binaire à reprise comme il se doit. La première partie, cérémonieuse mais expressive est dans le mode mineur alors que la seconde, aux manières plus adoucies passe au relatif majeur. Les variations de plus en plus virtuoses terminent la suite sur une note de bravoure.

     Dans cette suite, l'exceptionnel côtoie l'ordinaire. La Suite en la n'en constitue pas moins une très belle introduction au clavecin baroque français.

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4 février 2013

Helen Merrill - Clear out of this world (chronique jazz)


Helen Merrill - Clear Out Of This World (1991)



1 - Out Of This World
2 - Not Like This
3 - I'm All Smiles
4 - When I Grow Too Old To Dream
5 - Some Of These Days
6 - Maybe
 7 - A Tender Thing Is Love
8 - Soon It's Gonna Rain
9 - Willow Weep For Me




     Tout comme Musicmakers, le précédent album d'Helen Merrill, sorti cinq ans auparavant, et qui débutait par un très à propos «Round Midnight», Clear Out Of This World est un album de la nuit… ou disons, plutôt du soir: ici, celui d'un club de jazz à l'ambiance feutrée, aux cuirs souples et velours profonds.  Très varié émotionnellement, Clear Out Of This World alterne le lyrisme pur sur «Maybe», la sensualité sur «Willow Weep For Me», un feeling rythmique assez irrésistible sur «Soon It's Gonna Rain», les climats sophistiqués sur Out Of This World. Le disque réunit six musiciens de grande classe: Helen Merrill au chant, Tom Harrell à la trompette et Wayne Shorter au saxophone selon les titres, Roger Kellaway au piano, Red Mitchell à la contrebasse, Terry Clark à la batterie.

     Les mesures initiales de «Out Of This World» n'en finissent pas de me fasciner. Ce standard d'Harold Arlen, est rendu ici dans un superbe jeu de clair-obscur, entre les pas de velours de la contrebasse, la voix soyeuse d'Helen Merrill, les rais de lumière du piano et les traits fusants du saxophone. C'est un un jazz très écrit qui est proposé ici, aux arrangements très soignés. L'attention portée aux alliages de timbres et aux éclairages, tour à tour tamisés ou diaphanes, intimistes ou en pleine lumière, est extrême. Ainsi sur «When I Grow Too Old To dream», des miroitements de couleurs de l'introduction  aux intonations atonales de la trompette de Tom Harrell, émerge peu à peu une ballade d'un grand sentiment de plénitude. La prise de son, réellement superlative, n'est pas étrangère à la réussite de ce disque: à la fois chaude et brillante, elle dégage une sensation d'épanouissement acoustique rare, prolongée par une réverbération extrêmement sensuelle. Quant aux musiciens, toute en détente expressive, ils sont de haute volée. On accordera une mention spéciale au pianiste, Roger Kellaway, à la technique sans failles et au toucher très «classique», tout particulièrement sur «Maybe», une ballade amoureuse pour voix et piano, ou Kellaway, serviteur pleins d'attentions de sa partenaire, est impeccable. Et Helen Merrill y est unique: aucune autre ne sait comme elle chanter les ballades de jazz, dont elle s'est fait une spécialité, dès ce «Don't Explain», exceptionnel de poésie, sur son premier album (1954). Sur «Not Like This», Kellaway affiche une virtuosité sans failles ni complexes: l'introduction très debussyste, qui rappelle fortement La Cathédrale Engloutie, les ruissellements d'arpèges, le jeu très pédalisé, régaleront les amateurs de beau piano. Cette reprise très ouvragée d'un titre de soul eighties d'Al Jarreau rend l'original méconnaissable et le surpasse aisément. 
     Clear Out Of This World comporte ainsi quelques passionnantes relectures, telles «Soon It's Gonna Rain» au feeling très latin et parenthèse ensoleillée du disque aux paroles d'amour et d'eau fraiche: «we'll find four limbs of a tree/We'll build four walls and à floor/We'll bind it over with leaves/And run inside to stay.» Quant à «I'm All Smiles», cette géniale bluette, bien sûr il y a Barbra Streisand sur l'album People en 1964 et bien sûr Streisand est une interprète d'exception. Mais Helen Merrill palie son déficit de puissance vocale par une incarnation toute en suggestion. Le crescendo sur «Someone I die for/Beg steal or lie for/[…]/And that someone is you…» est irrésistible. «A Tender Thing Is Love» une composition originale cette fois, est par ailleurs un des meilleurs moments du disque; une valse toute en légèreté, égrenant quelques métaphores candides sur l'amour: «Love is a madness, a gladness, a sadness, a tender thing, Love is the rainbow, that follows where I go» C'est léger comme une plume et le charme  tient à vrai dire à très peu de choses: une Helen Merrill radieuse, une composition à la discrète élégance, des musiciens de grande classe. Le jeu au balais, souple et preste, de Terry Clarke est une merveille à lui tout seul. Et pour ne rien gâcher, le «Willow Weep For Me» qui referme l'album repousse les frontières du glamour. Helen Merrill avait déjà livré  de ce titre une version en 1960 sur l'album Parole E Musica. Cette première incarnation, fraiche et ingénue laisse ici la place à un blues chic et sexy qui laisse s'échapper des volutes sonores du saxophone de Wayne Shorter. Dernière piste, la plus longue de l'album, «Willow Weep For Me» provoque  un sentiment de détente physique, de lâcher prise, que peu de musiques  parviennent à obtenir.

    Les parfums capiteux de Clear Out Of This World diffusent une impression de luxe indéniable: luxe du casting, luxe de la musique et des arrangements, luxe des climats, luxe de la production. Un album à écouter, réécouter, goûter, connaître par coeur.

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