1 avril 2013

Hyacinthe Jadin - Sonate op. IV n° 2 (analyse)

Hyacinthe Jadin - Sonate op. IV n° 2 (1795)




1 - Allegro Motto
2 - Menuet
3 - Finale: Allegro

l'Allegro molto de la   Sonate op. IV n° 2:




     Qui pourrait croire que Mozart, le «divin Mozart» a des morts sur la conscience? Pas de sang sur les mains certes; mais lui et Haydn acquirent une telle réputation et une telle suprématie  dans l'Europe de la fin du XVIIIème siècle - et particulièrement en France - qu'ils devinrent avec le temps, l'unique incarnation du classicisme en musique. Ils reléguèrent, de leur vivant déjà, tous leurs contemporains dans le rôle d'éternels outsiders… ou pire, d'imitateurs dont on n'évalue les "tentatives" qu'à l'aune des réussites absolues de ces deux stars. Ainsi le qualificatif d'«homicide involontaire» se révèle une image parlante! Clementi (1752-1832), pour n'en citer qu'un, est pourtant un magnifique compositeur pour le piano. À Hyacinthe Jadin (1776-1800), il n'a manqué que les années pour l'être également. Jadin, élève de Carl-Philip Emanuel Bach (1714-1788), Allemand illustre - alors, bien plus que son père, le "vieux Bach", depuis longtemps passé de mode - Jadin donc, a été biberonné au répertoire germanique: ses oeuvres, et parmi elles la Sonate en fa dièse mineur l'attestent. L'oeuvre est à la fois proche, par ses accès de violence expressive, de l’esthétique tourmentée du Sturm und Drang, celui des premières symphonies de Haydn ou Mozart.  Mais elle est aussi marquée par le tardif «style classique» des deux viennois, à cause de son maniement tout à fait canonique de la forme sonate. Par ces traits, l'opus IV trahit le goût de Jadin pour la musique d'outre-rhin. Par sa coupe générale en vif/menuet/vif  et par son Menuet pittoresque, elle s'apparente à la sonate française de cette fin de siècle.

     Disons-les choses clairement: l'Allegro Motto initial est le plus réussi des trois mouvements de la Sonate en fa dièse mineur. Noble et expressif, il possède une ampleur de conception certaine. Le premier thème du mouvement, à la ressemblance troublante avec celui ouvrant la Symphonie n° 44 de Haydn, est la preuve par l'exemple de l'influence du Viennois sur le jeune Jadin - le public français était grand amateur des symphonies de Haydn, qu'on jouait dès la fin des années 1770, immanquablement à chaque séance du très populaire Concert Spirituel. Superbe motif secondaire, tout en triolets, aux sixtes mineures tourmentées; il tire la musique vers le préromantisme là ou le caressant second thème au ton relatif, la majeur, est fortement redevable à l'esthétique galante. Le développement, solidement charpenté par son déroulement en trois temps, exploite d'abord le motif liminaire du premier thème avant sa cellule en rythme pointé. Le motif secondaire aux triolets est ensuite plus longuement exploité à travers un parcours modulant, fort sinueux et aventureux. Traditionnelle pédale de dominante préparant la réexposition, celle-ci se faisant sur le premier thème, une fois n'est pas coutume chez Jadin.
     Un menuet en tant que mouvement central peut surprendre l'auditeur familier des sonates de Mozart et Haydn: sa présence a pourtant souvent été rencontrée dans la musique de piano-forte française. Influence du Sturm und Drang évidente: appuis rythmiques décalés, dynamique heurtée confèrent un caractère emporté à ce menuet. L’écriture massive de Jadin dans les graves de l’instrument, son goût pour les contrastes dynamiques et de textures, évoque - annoncent? - le piano Beethovenien. Dans le trio, un peu faible, de ce Menuet, au trop limpide contrepoint à deux voix, la mélodie de la main droite aux intonations faciles ne parvient pas à être sauvée par le soutien élémentaire de la main gauche, en basse et accords. On regrettera au passage l’absence d'un véritable mouvement lent dans une tonalité contrastante, qui aurait apporté la détente expressive nécessaire à cette sonate.
     Au début du Finale, on relèvera la même levée de quarte qui unifiait les débuts des deux premiers mouvements: le procédé, bien qu'un peu démonstratif, n'en est pas moins, à ma connaissance, unique dans la musique pour piano-forte de l’époque classique! La belle énergie du premier thème, les finesses harmoniques du second, le caractère affirmé de l’ensemble du mouvement, légèrement amoindris par une structure trop relachée et le recours à une écriture « formulaire » empêchent toutefois de parler de réussite pour ce Finale. Le développement, construit sur le motif du début du mouvement, se contente de faire "baigner" celui-ci dans différentes tonalités, à défaut de s’appuyer sur un travail thématique poussé. Jadin n’exploite pas ici le potentiel de tension dramatique du système tonal, et la gestion des modulations est assez éloignée de sa mise en pratique chez Haydn et Mozart. La réexposition, considérablement abrégée, débute directement sur le second thème, signature de Jadin.

     Fruit précoce d'un tout jeune compositeur, la Sonate en fa dièse mineur ne peut être qu'imparfaite. Mais, surtout, elle laisse le mélomane du XXIème siècle dans la frustration; celle de devoir prendre acte de la mort précoce du jeune Français qui, encore studieux tente aussi des expérimentations, et souvent passionne; vifs regrets! 

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