11 février 2013

Rameau - Nouvelles suite de pièces de clavecin (analyse)

Jean-Philippe Rameau - Nouvelles Suites de pièces de clavecin (1728)
Suite en la




1 - Allemande
2 - Courante
3 - Sarabande
4 - Les Trois Mains
5 - Fanfarinette
6 - La Triomphante
7 - Gavotte et ses Doubles

La Suite en la interprétée par Frédérick Haas  
sur un clavecin Henri Hemsch de 1751




     École française de clavecin: derrière cette appellation a posteriori et musicologique se trouve un vivier de compositeurs passionnants et un apogée musical pour la musique française de la période baroque. Jacques Champion de Chambonnières (1601-1672) est le «père fondateur» de cette École, en composant le premier livre de pièces de clavecin édité en France en 1670, bien que composé à une date nettement antérieure. Jacques Duphly (1715-1789), d'une certaine manière la ferme, en étant le dernier musicien à consacrer l'intégralité de son œuvre au clavecin, déjà en passe d'être délaissé au profit du nouveau piano-forte. Quant à Jean-Philippe Rameau (1683-1764), il est devenu, au fil du temps, et avec François Couperin (1668-1733), le plus illustre représentant de cette école, par la qualité de sa production. Rameau laisse trois livres de pièces de clavecin, édités en 1706, 1724 et 1728: en tout cinq suites. La Suite en la est la quatrième. 
     Cette suite comporte bien sûr sont lot de pièces de danse. Les trois premières, Allemande, Courante, Sarabande, viennent rappeler que la suite instrumentale baroque, aussi stylisée et écrite soit-elle, reste d'origine dansée. Mais à leur suite, et en nombre presque égal, des morceaux pittoresques: Les Trois Mains, Fanfarinette, La Triomphante. Un air varié conclut la suite. Description par le menu. 

     On a dit Rameau hautain, cassant, brusque, agressif, avare. C'est tout l'inverse qu'on entend dans cette Allemande liminaire, ardente. Toute frémissante de ses «agréments», le terme français d'alors pour les notes ornementales, elle est d'une exceptionnelle expressivité: la levée mélodique ascendante du début, prolongée quelques mesures plus loin en tierces qui semblent ne jamais devoir prendre fin, est suffocante d'émotion. Que le terme d'Allemande parait soudain froid devant tant de beautés. C'est L'Implorante que Rameau aurait dû titrer cette page, tant la voix du coeur est audible ici; cette pièce mérite amplement sa place au panthéon du clavecin baroque. Et Rameau sur un piano moderne? La Courante, dont chacun des innombrables sauts de quarte atterrit sur un «mordant», ce battement très rapide entre deux notes conjointes, tranche le débat sur le choix de l'instrument pour la musique de clavier ramiste; clavecin assurément, dont la mécanique légère, la sonorité incisive, colorée, sont les seules capable de rendre la vigueur rythmique et la luxuriance ornementale de cette musique. Combien paraîtrait fade la sonorité d'un piano moderne à côté. La Sarabande, noble et altière gagne en beauté à mesure que son interprète retient le tempo, ce qu'ose Blandine Rannou dans son intégrale du clavecin du compositeur en 2001, avec la version la plus longue de la discographie: la pièce perd en maintien aristocratique ce qu'elle gagne en intériorité et émotion contenue.
     Les Trois Mains, c'est l'effet auditif de cette main gauche qui alternativement est à gauche du clavier, ou bien dans les aigus, en passant par dessus la main droite. Le Procédé d'écriture a été largement employé à l'époque romantique chez Chopin, Liszt, et n'étonne plus personne aujourd'hui, bien qu'étant novateur à l'époque. Qui est Fanfarinette auquel renvoie le titre de la cinquième pièce? Qu'importe, car c'est aussi cela le clavecin baroque français, ou la beauté de la musique le dispute à la poésie des titres: La Toute Belle de Champion de Chambonnières, L'Inconstante de Jacquet de La Guerre, Les Tendre reproches de Dandrieu, L'Incomparable chez Le Roux… et presque tout François Couperin dont les seules Barricades mystérieuses pourraient assurer l'immortalité. De caractère paisible et confiant, Fanfarinette est une gigue à la mélodie conjointe, en croches caressantes, sur des arpèges de la basse. Dans la seconde partie, les quintes à vides plaquées et rustiques, font sortir Fanfarinette de sa réserve naturelle. La triomphante n'est pas du meilleur Rameau: bavarde et répétitive, il y a peu de musique dans cette page. Contrairement à la Sarabande, l'interprète sera bien inspiré ici en jouant cette Triomphante à un tempo vif afin de l'écourter au possible! 
     La Gavotte et ses six «doubles», en d'autres termes des variations, est en revanche une des pages les plus inspirées de la Suite en la. Forme binaire à reprise comme il se doit. La première partie, cérémonieuse mais expressive est dans le mode mineur alors que la seconde, aux manières plus adoucies passe au relatif majeur. Les variations de plus en plus virtuoses terminent la suite sur une note de bravoure.

     Dans cette suite, l'exceptionnel côtoie l'ordinaire. La Suite en la n'en constitue pas moins une très belle introduction au clavecin baroque français.

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