4 février 2013

Helen Merrill - Clear out of this world (chronique jazz)


Helen Merrill - Clear Out Of This World (1991)



1 - Out Of This World
2 - Not Like This
3 - I'm All Smiles
4 - When I Grow Too Old To Dream
5 - Some Of These Days
6 - Maybe
 7 - A Tender Thing Is Love
8 - Soon It's Gonna Rain
9 - Willow Weep For Me




     Tout comme Musicmakers, le précédent album d'Helen Merrill, sorti cinq ans auparavant, et qui débutait par un très à propos «Round Midnight», Clear Out Of This World est un album de la nuit… ou disons, plutôt du soir: ici, celui d'un club de jazz à l'ambiance feutrée, aux cuirs souples et velours profonds.  Très varié émotionnellement, Clear Out Of This World alterne le lyrisme pur sur «Maybe», la sensualité sur «Willow Weep For Me», un feeling rythmique assez irrésistible sur «Soon It's Gonna Rain», les climats sophistiqués sur Out Of This World. Le disque réunit six musiciens de grande classe: Helen Merrill au chant, Tom Harrell à la trompette et Wayne Shorter au saxophone selon les titres, Roger Kellaway au piano, Red Mitchell à la contrebasse, Terry Clark à la batterie.

     Les mesures initiales de «Out Of This World» n'en finissent pas de me fasciner. Ce standard d'Harold Arlen, est rendu ici dans un superbe jeu de clair-obscur, entre les pas de velours de la contrebasse, la voix soyeuse d'Helen Merrill, les rais de lumière du piano et les traits fusants du saxophone. C'est un un jazz très écrit qui est proposé ici, aux arrangements très soignés. L'attention portée aux alliages de timbres et aux éclairages, tour à tour tamisés ou diaphanes, intimistes ou en pleine lumière, est extrême. Ainsi sur «When I Grow Too Old To dream», des miroitements de couleurs de l'introduction  aux intonations atonales de la trompette de Tom Harrell, émerge peu à peu une ballade d'un grand sentiment de plénitude. La prise de son, réellement superlative, n'est pas étrangère à la réussite de ce disque: à la fois chaude et brillante, elle dégage une sensation d'épanouissement acoustique rare, prolongée par une réverbération extrêmement sensuelle. Quant aux musiciens, toute en détente expressive, ils sont de haute volée. On accordera une mention spéciale au pianiste, Roger Kellaway, à la technique sans failles et au toucher très «classique», tout particulièrement sur «Maybe», une ballade amoureuse pour voix et piano, ou Kellaway, serviteur pleins d'attentions de sa partenaire, est impeccable. Et Helen Merrill y est unique: aucune autre ne sait comme elle chanter les ballades de jazz, dont elle s'est fait une spécialité, dès ce «Don't Explain», exceptionnel de poésie, sur son premier album (1954). Sur «Not Like This», Kellaway affiche une virtuosité sans failles ni complexes: l'introduction très debussyste, qui rappelle fortement La Cathédrale Engloutie, les ruissellements d'arpèges, le jeu très pédalisé, régaleront les amateurs de beau piano. Cette reprise très ouvragée d'un titre de soul eighties d'Al Jarreau rend l'original méconnaissable et le surpasse aisément. 
     Clear Out Of This World comporte ainsi quelques passionnantes relectures, telles «Soon It's Gonna Rain» au feeling très latin et parenthèse ensoleillée du disque aux paroles d'amour et d'eau fraiche: «we'll find four limbs of a tree/We'll build four walls and à floor/We'll bind it over with leaves/And run inside to stay.» Quant à «I'm All Smiles», cette géniale bluette, bien sûr il y a Barbra Streisand sur l'album People en 1964 et bien sûr Streisand est une interprète d'exception. Mais Helen Merrill palie son déficit de puissance vocale par une incarnation toute en suggestion. Le crescendo sur «Someone I die for/Beg steal or lie for/[…]/And that someone is you…» est irrésistible. «A Tender Thing Is Love» une composition originale cette fois, est par ailleurs un des meilleurs moments du disque; une valse toute en légèreté, égrenant quelques métaphores candides sur l'amour: «Love is a madness, a gladness, a sadness, a tender thing, Love is the rainbow, that follows where I go» C'est léger comme une plume et le charme  tient à vrai dire à très peu de choses: une Helen Merrill radieuse, une composition à la discrète élégance, des musiciens de grande classe. Le jeu au balais, souple et preste, de Terry Clarke est une merveille à lui tout seul. Et pour ne rien gâcher, le «Willow Weep For Me» qui referme l'album repousse les frontières du glamour. Helen Merrill avait déjà livré  de ce titre une version en 1960 sur l'album Parole E Musica. Cette première incarnation, fraiche et ingénue laisse ici la place à un blues chic et sexy qui laisse s'échapper des volutes sonores du saxophone de Wayne Shorter. Dernière piste, la plus longue de l'album, «Willow Weep For Me» provoque  un sentiment de détente physique, de lâcher prise, que peu de musiques  parviennent à obtenir.

    Les parfums capiteux de Clear Out Of This World diffusent une impression de luxe indéniable: luxe du casting, luxe de la musique et des arrangements, luxe des climats, luxe de la production. Un album à écouter, réécouter, goûter, connaître par coeur.

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