21 janvier 2013

Kate Bush - The Kick Inside (chronique rock)


Kate Bush - The Kick Inside (1978)



1 - Moving
2 - The Saxophone Song
3 - Strange Phenomena
4 - Kite
5 - The Man with The Child in his eyes
6 - Wuthering Heights
7 - James And The Cold Gun
8 - Feel It
9 - Oh To Be In Love
10 - L'Amour Looks Something Like You
11 - Them Heavy People
12 - Room For The Life
13 - The Kick Inside




     Si The Kick Inside était une couleur, ce serait sans aucun doute le rose, dont il explore toutes les nuances. Le rose  pastel des rêveries amoureuses de l'adolescence; le rose plus soutenu de l'éveil de la féminité; le rose bonbon de la voix de Kate Bush, mutine, additive. Parfois drôle et décalé, toujours touchant, ce premier album développe un imaginaire foisonnant. L'échappée dans le rêve, le désir, l'amour: écouter The Kick Inside, écrit le plus souvent à la première personne, c'est comme découvrir le journal intime d'une jeune fille à l'âge de ses premiers émois. La musique, très sensible, trouve le juste équilibre entre ballades rock faisant la part belle au piano, et compositions plus énergiques. Mais ce sont bien la production, les arrangements, et la voix de Kate Bush, inouïe au sens premier du terme, qui font avant tout le charme de ce premier album de la chanteuse anglaise.

     Chanson initiatique, «Moving» dépeint l'apprentissage douloureux de la danse par une jeune femme troublée par son professeur, et les émotions physiques qui en résultent. Ce titre ouvre l'album dans une véritable féérie sonore, très dream pop. Les arpèges dans l'aigu du piano, la voix de Kate Bush, nous font plonger dans le monde du rêve; les choeurs du refrain, sur des harmonies étranges et belles, des trouvailles sonores étonnantes sur le mot «lilly», placent ce début d'album sous le signe du merveilleux. «Strange Phenomena», au non moins étrange accord polytonal de son début , La M sur Fa et qui surprend dans le cadre du rock, retrouve la magie de «Moving». Le refrain, sucré comme une guimauve, aux paroles un peu surréalistes est mignon tout plein: «We raise our hats to the strange phenomena./Soul-birds of a feather flock together». La fantaisie, sonore et textuelle, traverse l'album: «Oh To Be In Love» aux choeurs d'hommes sur les refrains, très second degré scandant «Oh-oh-oh to be-e-e in love»; Kite, le «reggae rigolo» au paroles Lewis Carrolliennes et un brin fantastiques, révèle une Kate Bush caméléon, au registre vocal incroyablement élastique. Si les paroles de «Moving» sont sensuelles, celles de «L'Amour Looks Something Like You», une ballade rock à l'instrumental beaucoup plus classique le sont tout autant. Et du sensuel à l'explicitement sexuel, la très déshabillée «Feel It» franchit le pas: «So keep on a-moving in, keep on a-tuning in/Synchronize rhythm now», chantées sur un ton libéré. La classique formule du piano/voix au féminin retenue ici est ainsi plus complexe qu'il n'y parait: des progressions d'accords très simples certes, mais qui vont créer cette alcôve harmonique, où vont pouvoir se lover des paroles sans ambigüités et creuser cette dissonance entre texte et musique; troublant.
     La douceur qui se dégage de ce disque est étonnante. De «Moving» à «Strange Phenomena», de «The Man With The Child In His Eyes» à «Room For The Life», The Kick Inside, est marqué par ses sonorités cotonneuses et la voix caressante de Kate Bush, jusque dans ses chansons les plus dures. Le titre éponyme, «le coup dans le ventre» qui aborde l'inceste, est ponctué d'interventions de cordes, flûtes, hautbois, apaisées. «The Man With The Child in His Eyes» est une véritable scène de film romantique dans lequel la candeur des paroles n'a d'égale que les interventions délicatement sentimentales des instruments de l'orchestre. Cette continuité musicale et stylistique, loin de desservir l'album, lui assure son  unité sonore. 
     Quelques compositions plus énergiques viennent «muscler» un peu la tracklist comme «The Saxophone Song»: «It's in me/And you know it's for real/Tuning in on your saxophone» Double sens évident sur cette compo rock mid tempo aux discrètes syncopes, qui annonce le titre le plus rock de l'album, «James And The Cold Gun», façon «Star» De Bowie sur l'album Ziggy Stardust; piano et guitare sur la brèche, ligne de basse directe  et efficace, batterie carrée: un plaisir immédiat comme le rock sait en offrir… Mais le chef d'oeuvre du disque est bien sûr «Wuthering Heights», à juste titre la chanson la plus connue de l'artiste. Sur des paroles inspirées du roman du même nom de Émily Brontë (1818-1848), Kate Bush parvient à restituer le climat du livre grâce à des enchainement harmoniques pour le moins «cavaliers» sur les couplets et qui retrouvent le climat fantasmagorique du roman. Les refrains plus attendus viennent parfaire la composition, pour en faire un classique inoubliable du rock au féminin. Kate Bush nous fera le privilège quelques années plus tard de réenregistrer «Wuthering Heights», servi par une production plus catchy et qui surpasse l'original, sur la compilation The Whole Story en 1986.

     Un disque très girly et follement attachant.

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