14 janvier 2013

Chopin - Quatrième Ballade/n° 4/op. 52 (analyse)


Frédéric Chopin - Quatrième Ballade (1842)






    Chopin est probablement le compositeur sur lequel il existe encore le plus de malentendus. Coupable d’avoir composé une oeuvre d’une grand pouvoir de séduction et d’un abord des plus aisés, une partie du public ne veut encore voir dans sa musique, que son enveloppe la plus facile. Il n’en est rien. Harmoniste hardi, mélodiste génial, grand inventeur de sonorités, léger et profond à la fois, Chopin n’a pour seul tort que d’avoir consacré sa vie à la seule musique pour piano, faisant de lui un «spécialiste».
     La Quatrième Ballade est une des oeuvres qui synthétisent le mieux le style et l'esthétique de compositeur polonais. Elle renferme tout aussi bien le Chopin brillant de certaines de ses valses que les sonorités radieuses de la Barcarolle, les accès de brutalité des scherzos que les effusions de lyrisme des nocturnes. Oeuvre d’un grand raffinement d'écriture, cette ballade ne possède pas la puissance dramatique des trois précédentes mais préfère une expression plus intérieure. Elle est de ce fait la plus exigeante pour l’auditeur. De structure assez libre, elle fait alterner un thème principal exposé trois fois et un thème contrastant entendu à deux reprises, précédés d'une introduction et d'une coda.

     Dès l'introduction, radieuse, aux riches harmonies, on peut entendre ce «son Chopin» toute en transparence et reflets irisés, celui du Nocturne op. 37 n° 2, de la Barcarolle op. 60, et qui fascinera Debussy. Cette lumière méridionale étant là pour mieux amener l'inoubliable thème principal, d'un sentiment nostalgique, et aux intonations mélodiques un peu orientalisantes; l’effet moiré de ces motifs, qui changent imperceptiblement d'humeur au gré de leurs subtiles variations mélodiques est d’une richesse insondable. Le thème est repris avant un passage en accords et octaves, plein de mystère, et au rendu sonore presque «liquide», comme un gué entre deux rives. Arrive alors une des plus sublimes inspirations de Chopin: après cette digression, et sur de somptueuses harmonies, une continuation mélodique du thème principal, d'une grande tristesse va venir clore ce premier exposé. Lors de sa reprise, le thème, est orné d'un contrechant aux voix intérieures qui, crescendo, va aboutir sur une rafales d'octaves virtuoses: L'instrument sonne magnifiquement; du très grand piano. Le second thème, rêveur, au doux bercement rythmique n'est qu'à peine dérangé par quelques appuis rythmiques décalés. S'ouvre ensuite un épisode purement «gratuit» dans la structure de l'oeuvre et qui s'abandonne à la pure délectation sonore et instrumentale: des arpèges ascendants qui vont retomber en une fine pluie de sixtes, typiques du compositeur, par deux fois, avant une sorte de valse légère et gracieuse, qui s'anime peu à peu, avant de recroiser les motifs du thème principal. Ceux-ci complètement renouvelés, dans un miroitement de couleurs qui évoquent la fin de la Barcarolle annoncent le retour du radieux thème introductif, dans une nouvelle tonalité. Art de la variation, lors de cette courte section où les motifs constitutifs du thème principal se trouvent repris dans un épisode en imitation de caractère austère avant le troisième exposé du thème principal. À vrai dire, On comprend mal l'art de Chopin si l'on ne perçoit pas son génie de l'écriture et de la résonance pianistique, manifestes dans le Nocturne op. 27 n° 2, ou le Huitième Prélude. Dans la ballade, le traitement du thème est typiquement chopinien par son écriture ornementale de la mélodie, aux sinueuses arabesques, son rythme irrégulier et très libre tissant une toile d'une grande finesse. Après quelques mesures de transition réapparaît le thème contrastant. Art de la transformation thématique là encore. Alors que dans la première partie de l'oeuvre ce thème était serein  il s'enfièvre ici peu à peu et se fait cette fois passionné, sur de larges arpèges à la basse. Après une plongée dans les graves de l’instrument, viennent des montées successives de la basse, houleuses,  avant des rafales d’arpèges aux deux mains, souvenir de la 24ème Étude et qui vont venir se fracasser sur trois accords dans la nuance triple fortissimo, tels des gifles assénées. Cinq accords aussi diaphanes qu’innatendus assurent alors la transition avec la coda… Qu'on ne s'y trompe pas, cette violence expressive est une constante chez Chopin: elle était déjà présente dans le Premier Scherzo esquissé dès 1830, convulsif et inquiétant; elle le sera encore dans la fuligineuse Deuxième Sonate en 1839. Cette coda conclut la Ballade de manière éclatante et fort avantageuse pour son interprète, dès lors qu'il est en possession des moyens techniques pour se hisser à la hauteur de ce monument du répertoire. 

     L'oeuvre ultime du piano romantique.

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