Émilie Simon - Végétal (2006)
Végétal, après la fraicheur pop du premier album, éponyme,
d'Émilie Simon en 2003, s'aventure sur les terres de l'électro pointue et
raffinée. Les sonorités électroniques, font corps ici avec les instruments
acoustiques semblant même souvent en émaner. Tout comme chez Björk parfois;
tout comme chez Claire Diterzi, cette autre française, sur son album Boucle
(2006). La pochette de Végétal retient
l'attention: frêle, fragile, tout en désuètes dentelles, sur un beau fond vert
sombre, Émilie y est d'une beauté à la fois maladive et sophistiquée. La
production du disque, fait la part belle aux climats étranges et captivants.
Alors Végétal ne peut certes plus
bénéficier de l'effet de surprise du premier album. C'est aussi un album en un
sens plus consensuel, car plus classieux, que le fantasque - et jouissif - The
Big Machine à venir. Cet album très abouti,
autour de la thématique végétale et des éléments n'en est pas moins un beau
disque.
Avec la venimeuse «Alicia», c'est dans une tonalité inquiétante que
débute Végétal, car dans les bras de
lierre d'Alicia, sous la protection de plantes carnivores, nul ne se réveille… «Je
regrette/La hyène cannibale/Que j'ai été» chante Claire Diterzi sur le titre
d'ouverture de Boucle; Émilie
Simon a t-elle écouté cet album au moment de l'écriture du sien? En tout cas ces
deux chansons, aux textures à la fois synthétiques et soyeuses, sont tout aussi
fascinantes. Les violons et altos aux lignes insinuantes, enlacent puis étreignent, tandis que la belle, telle une mante religieuse,
étrangle. Les paroles accomplissent un sans faute: les rimes, riches et sonores
créent une sourde menace. La chanteuse, chez qui «les vers de Lise/se lisent
autour d'un verre», a parfois été tentée par la préciosité sur son premier album.
Certains titres de Végétal ne sont
pas épargnés par ces coquetteries de style: «À force de malentendus je suis
malentendant/Et ces déjà-vus me rendent malveillant» peut-on lire dans le texte
de «En cendres». Le meilleur sur ce titre est dans la musique, qui renoue avec
la poésie sonore tout en douceur ouatée du
premier album de la chanteuse. «Le vieil amant» souffre aussi de ce même manque
d'ailes et du même excès de formalisme: «Il est parti le temps/Il
n'a pas pris son temps/Me voilà qui t'attends/Comme un vieux prétendant». Et
c'est bien dommage car la musique est réellement inspirée et sensible.
Émilie Simon le reconnait, elle pense musique d'abord/paroles ensuite,
et c'est bien la musique le vecteur de l'émotion sur ce disque: les
instrumentaux de Végétal sont souvent
superbes, mis en valeur par une production très aboutie. Les paroles d'«Opium»
cultivent autant le lâcher prise que la musique en est funky et rythmiquement
"sculptée". Émilie Simon révèle ici sa maîtrise évidente des machines
et du matériau sonore. Qualité de confection élevée digne de la haute couture.
Les sons synthétiques de la boite à rythme, électriques du Fender Rhodes, la
voix d'Émilie, se fondent pour créer une texture sonore très «végétale».
Le piano détourné, dont le cadre en fonte sert de percussion sur «My Old
Friend» semble reprendre à son compte les bricolages iconoclastes du John Cage
des Sonates et Interludes pour
piano préparé, transplantés ici dans la pop. Émilie Simon est aux antipodes
d'une autodidacte fonctionnant à l'instinct.
Issue d'une famille musicienne, elle à étudié à l'IRCAM et est titulaire d'un
DEA de musique contemporaine. Nul doute qu'elle s'est forgé durant cette
formation initiale une culture sonore très musique XXème. Et pour ceux qui
croyaient entendre Kate Bush sur «Nothing To Do With You» (The Big
Machine), on répondra tout aussi sûrement:
Tori Amos sur «My Old Friend», direct et efficace comme une compo de la
«Cornflake Girl». Une énergie rock, un jeu pianistique très physique, une
interprétation très animale.
Mais c'est bien avec Boucle,
de Claire Diterzi, paru également en 2006 et avec la Björk de Post (1995) et Homogenic (1997) que la filiation de Végétal est la plus évidente. «Annie» partage avec «Clin
d'oeil» de l'autre française,
cette électro «au fusain», au naturalisme timbral surprenant, loin des
tons criards du dancefloor. Comme Björk, Émilie Simon ne craint pas non plus
d'inviter certains instruments du monde classique: violons, altos et
violoncelles sur «Sweet Blossom»… qui va prendre insensiblement des airs de
«Hyperballad» (Post) tout comme
«Swimming». Quant à «Dame de Lotus», au beat et à la ligne de basse technoïdes,
elle ne déparerait pas sur un album de l'islandaise.
Émilie Simon, qui reconnait faire de
l'ordinateur un instrument de musique, réalise une électro-pop d'une grande
souplesse de textures. Ambitieux et plutôt abouti.
✰ ✰ ✰ ✰ ✰ ✰