4 mars 2013

Émilie Simon - Végétal (chronique électro-pop)


Émilie Simon - Végétal (2006)



1 - Alicia
2 - Fleur de saison
3 - Le vieil amant
4 - Sweet Blossom
5 - Opium
6 - Dame de lotus
7 - Swimming
8 - In The Lake
9 - Rose hybride de thé
10 - Never Fall In Love
11 - Annie
12 - My Old Friend
13 - En cendres




     Végétal, après la fraicheur pop du premier album, éponyme, d'Émilie Simon en 2003, s'aventure sur les terres de l'électro pointue et raffinée. Les sonorités électroniques, font corps ici avec les instruments acoustiques semblant même souvent en émaner. Tout comme chez Björk parfois; tout comme chez Claire Diterzi, cette autre française, sur son album Boucle (2006). La pochette de Végétal retient l'attention: frêle, fragile, tout en désuètes dentelles, sur un beau fond vert sombre, Émilie y est d'une beauté à la fois maladive et sophistiquée. La production du disque, fait la part belle aux climats étranges et captivants. Alors Végétal ne peut certes plus bénéficier de l'effet de surprise du premier album. C'est aussi un album en un sens plus consensuel, car plus classieux, que le fantasque - et jouissif - The Big Machine à venir. Cet album très abouti, autour de la thématique végétale et des éléments n'en est pas moins un beau disque.

     Avec la venimeuse «Alicia», c'est dans une tonalité inquiétante que débute Végétal, car dans les bras de lierre d'Alicia, sous la protection de plantes carnivores, nul ne se réveille… «Je regrette/La hyène cannibale/Que j'ai été» chante Claire Diterzi sur le titre d'ouverture de Boucle; Émilie Simon a t-elle écouté cet album au moment de l'écriture du sien? En tout cas ces deux chansons, aux textures à la fois synthétiques et soyeuses, sont tout aussi fascinantes. Les violons et altos aux lignes insinuantes, enlacent puis étreignent, tandis que la belle, telle une mante religieuse, étrangle. Les paroles accomplissent un sans faute: les rimes, riches et sonores créent une sourde menace. La chanteuse, chez qui «les vers de Lise/se lisent autour d'un verre», a parfois été tentée par la préciosité sur son premier album. Certains titres de Végétal ne sont pas épargnés par ces coquetteries de style: «À force de malentendus je suis malentendant/Et ces déjà-vus me rendent malveillant» peut-on lire dans le texte de «En cendres». Le meilleur sur ce titre est dans la musique, qui renoue avec la poésie sonore tout en douceur ouatée du premier album de la chanteuse. «Le vieil amant» souffre aussi de ce même manque d'ailes et du même excès de formalisme: «Il est parti le temps/Il n'a pas pris son temps/Me voilà qui t'attends/Comme un vieux prétendant». Et c'est bien dommage car la musique est réellement inspirée et sensible.
     Émilie Simon le reconnait, elle pense musique d'abord/paroles ensuite, et c'est bien la musique le vecteur de l'émotion sur ce disque: les instrumentaux de Végétal sont souvent superbes, mis en valeur par une production très aboutie. Les paroles d'«Opium» cultivent autant le lâcher prise que la musique en est funky et rythmiquement "sculptée". Émilie Simon révèle ici sa maîtrise évidente des machines et du matériau sonore. Qualité de confection élevée digne de la haute couture. Les sons synthétiques de la boite à rythme, électriques du Fender Rhodes, la voix d'Émilie, se fondent pour créer une texture sonore très «végétale». Le piano détourné, dont le cadre en fonte sert de percussion sur «My Old Friend» semble reprendre à son compte les bricolages iconoclastes du John Cage des Sonates et Interludes pour piano préparé, transplantés ici dans la pop. Émilie Simon est aux antipodes d'une autodidacte fonctionnant à l'instinct. Issue d'une famille musicienne, elle à étudié à l'IRCAM et est titulaire d'un DEA de musique contemporaine. Nul doute qu'elle s'est forgé durant cette formation initiale une culture sonore très musique XXème. Et pour ceux qui croyaient entendre Kate Bush sur «Nothing To Do With You» (The Big Machine), on répondra tout aussi sûrement: Tori Amos sur «My Old Friend», direct et efficace comme une compo de la «Cornflake Girl». Une énergie rock, un jeu pianistique très physique, une interprétation très animale.
     Mais c'est bien avec Boucle, de Claire Diterzi, paru également en 2006 et avec la Björk de Post (1995) et Homogenic (1997)  que la filiation de Végétal est la plus évidente. «Annie» partage avec «Clin d'oeil» de l'autre française,  cette électro «au fusain», au naturalisme timbral surprenant, loin des tons criards du dancefloor. Comme Björk, Émilie Simon ne craint pas non plus d'inviter certains instruments du monde classique: violons, altos et violoncelles sur «Sweet Blossom»… qui va prendre insensiblement des airs de «Hyperballad» (Post) tout comme «Swimming». Quant à «Dame de Lotus», au beat et à la ligne de basse technoïdes, elle ne déparerait pas sur un album de l'islandaise.

     Émilie Simon, qui reconnait faire de l'ordinateur un instrument de musique, réalise une électro-pop d'une grande souplesse de textures. Ambitieux et plutôt abouti.

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