Tears For Fears - The Seeds Of Love (chronique pop-rock)
Tears For Fears - The Seeds Of Love (1989)
1 - Woman In Chains
2 - Badman's Song
3 - Sowing The Seeds Of Love
4 - Advice For The Young At Heart
5 - Standing On The Corner Of The Third World
6 - Swords And Knives
7 - The Year Of The Knives
8 - Famous Last Words
«Malgré ses ambitions et son
talent, Tears For Fears n'a pourtant jamais dépassé une certaine froideur
clinique» regrette Mischka Assayas dans son Dictionnaire du rock. Froideur ça se discute, mais clinique, le mot est mal choisi. Que les albums The Hurting (1982)
et Songs From The Big Chair, synthétiques et new-wave,soient
froids, c'est entendu. Mais The Seeds Of Love,plus noir, mâtiné de soul et de gospel, non! Car si
froideur il y a, celle-ci se situe en aval de la musique, au niveau de la
production, à l'effet «papier glacé» à force de beauté plastique. Somptueuse et
somptuaire -la réalisation de ce
disque coûtaplus d'un million de
livre sterling - elle pourrait faire passer Dark Side Of The Moon pour du rock lo-fi. Les huit titres de The
Seeds Of Love,sont d'une qualité, de composition, d'arrangements, de
mixage/production inouïe, qui jamais n'intimide mais bien au contraire séduit,
puis subjugue! Enfin, en plus d'être un
grand moment de musique cet album est un objet désirable: pochette magnifique
et baroque, dont la profusion de détails et les couleurs éclatantes semblent un
clin d'oeil à celle du Sergent Pepper's des Beatles.
Les mesures introductives de la superbe «Woman In Chains», révèlent
un art de la mise en scène sonore admirable. Ici un gimmick de basse, là une
descente de toms, une ponctuation de charley qui trahissent un perfectionnisme
maniaque, et qui loin d'anesthésier l'émotion la révèlent. La chanson, aborde
un sujet sensible, celui des femmes battues. Oleta Adams, ardente et à la
sincérité non feinte, vient dès le début de cet album presque parfait, briser
la glace et donner à «Woman In Chains» sa profondeur. Les arrangements, magnifiques, font
progressivement gagner la chanson en ampleur et feront de ce single un immense succès public, à juste titre. Parler d'orfèvrerie musicale pour qualifier cette chanson n'est pas
excessif, de même que pour le fascinant «Standing On The Corner Of The Third World».
Les accords ici, qui à défaut d'être ceux du jazz sont tout juste «jazzy»,
enrichisd'à peine quelques
avantageuses septièmes, s'il n'y avait qu'eux, ne seraient rien. Leurs
enchainements habiles et sinueux tirent déjà la musique vers une sophistication
certaine. L'effectif instrumental pléthorique, les alliages de timbres
éblouissants, étourdissants, produisent, eux, des variations de lumières
véritablement kaléidoscopiques. Ironie non des moindres, ce
titre au grand coeur sur le tiers-monde, «the third world»,n'a recours pour le dépeindre à rien de
moins qu'à une débauche de moyens sonores et musicaux d'un luxe si ostentatoire
qu'il en est réellement insolent! Après cette pépite soul, «Badman's
Song»tire l'album du côté du
gospel: plus précisément d'une fastueuse «reconstitution» car rien n'est plus éloigné
de la ferveur et de spontanéité du gospel que «Badman's Song», à la mise en
place millimétrée et aux mille détails soigneusement agencés. Le travail de
production - qui laisse pantois - rend ce titre jubilatoire. La pianiste et
chanteuse de jazz Oleta Adams hisse, par sa prestation, la musique à un niveau
de jeu rarement entendu sur un album de pop ou de rock.Il est rare qu'un tel plaisir physique
de jouer de la musique transparaisse à ce point dans ce repertoire. Les versions live de la chanson donnent à entendre des musiciens d'un
niveau réellement impressionnant. Et sur «Sowing The Seeds Of Love»,
la performance vocale de Roland Orzabal est juste bluffante. Le flow du chanteur, très au fond du temps, son timbre mat et mordoré sont la preuve qu'en
plus d'être un songwritter doué, le chanteur sait être un interprète
exceptionnel: sa reprise, "copie carbone" de «Ashes To Ashes»l'a rappelé par le passé. Cette très beatlesienne
«Sowing The Seeds Of Love» fait revivre les productions chamarrées de Georges
Martin pour les albums Magical Mistery Tour et Sergent Pepper's des Fab Four.Chanson à tiroir, pleine de digressions, de pont, de courts solos, elle prend des allures de symphonie pop. Même le très limpide «Year Of The Knive», titre le plus speed et accrocheur de l'album - et peut-être également le moins subtil - s'autorise également ces raffinements de structure; ainsi cette plongée en eaux troubles entre un solo de guitare et un couplet. Placé entre la salve de cet dernier titre et le flamboyant «Standing On The Corner Of The Third World», «Swords And Knives» parait
sobre en comparaison, tout comme le très vespéral «The Famous Last Words» qui clot ces cinquante minutes de pur plaisir dans une sourde tristesse. Ce triptyque est introduit par un piano
minéral et pensif, un Roland Orzabal revenu de tout et apaisé, sur des
harmonies minimales. «After the wash/Before the fire», car feu il y a: celui d'un
rock classique et au goût très sûr mais néanmoins plein de panache avant le retour de
la première partie.