Beach House - Bloom (2012)
1 - Myth
2 - Wild
3 - Lazuli
4 - Other People
5 - The Hours
6 - Troublemaker
7 - New Year
8 - Wishes
9 - On The Sea
10 - Irene
Il m'est parfois arrivé en dormant de faire ce
rêve: j'étais étendu dans un océan de nuages, moelleux et profonds comme du
duvet. Mais je pouvais aussi goûter ces nuages, qui étaient tout à la fois de
la crème fouettée, s'offrant à moi à perte de vue. Bloom, le dernier album du groupe Beach House est pour moi la
transcription pop de ces images. Si certains titres de leur précédent album,
l'indolent Teen Dream, ont
déjà un air de Bloom, cette
nouvelle livraison est une réelle évolution. Bloom, plus concentré émotionnellement, nous fait
quitter le monde de la rêverie éveillée pour entrer dans celui, véritable, du
rêve. Bloom est pour cette
raison un album d'un abord très facile, tout en volutes
sonores et courbes sensuelles: les aspérités n'ont pas leur place ici.
Le qualificatif «dream pop» accordé à Beach
House prend tout son sens sur ce nouvel album, dès son début, et tout au long de l'écoute. «The
Hours», est sans doute le titre
le plus représentatif de cette esthétique: un
beat synthétique de TR 808, des choeurs évanescents, quelques accords
cadentiels de guitare… Puis la voix de Victoria Legrand, melliflue, qui
effleure, qui caresse, à l'androgynie troublante; les ports de voix de la
chanteuse, sa façon parfois d'attaquer la note «par en dessous», sont un
délice de suavité. Bien sûr, qui dit dream pop dit Cocteau Twins, le porte
drapeau de cette esthétique et influence première du duo Legrand/Scally.
Certains titres de Cocteau Twins sonnent déjà pré-Beach House. «Fifty-Fifty
clown» sur Heaven Or Las Vegas (1991), annonce «Other
People» de Beach House: les
mêmes nappes de synthés chic, la même production raffinée, mais aussi la même
immédiateté mélodique, ce qu'on ne l'on ne reprochera ni à l'un ni à l'autre. Car
c'est peut-être cette «colonne vertébrale mélodique» qui à parfois fait défaut
aux premiers albums de Cocteau Twins. Victorialand (1986) est surtout une collection d'ambiances sonores et ce manque de
structure fait perdre le fil. Bloom,
lui, est un album calibré, très radio friendly: «Troublemaker», «New Year», avec leur
beat tout à fait mainstream, leur prégnance mélodique et la même production
accrocheuse, sont imparables ; «Other People» une tuerie. Tout l'album, d'une cohérence sonore et esthétique remarquable, semble comme nimbé d'un halo de lumière comparable au flou
artistique des photographes. Bloom, c'est un peu comme une photographie prise à l'aide de certains filtres Cokin: d'une luminosité onirique.
Mais si la musique de Bloom s'écoute la tête dans les nuages, les paroles,
et bien qu'avec force allusions sont, elles, beaucoup plus ancrées dans la
réalité. Comme sur Teen Dream,
il est ici question d'incommunicabilité des êtres, de regrets du passé. «You
can't keep hangin' on/To all that's dead and gone» chante Victoria Legrand
sur le vibrant «Myth» ouvrant
l'album. La langue,
très métaphorique, ouvre une grande pluralité d'interprétation: dans les
chansons de Bloom, chacun
peut souvent se reconnaitre, et ces textes qui tendent à l'universalité
semblent alors répondre à leurs écrins instrumentaux aériens. Cohérent certes,
au risque du maniérisme, sur certains titres qui déploient une symbolique
peut-être un peu trop sophistiquée.
À quoi renvoie donc le mystérieux Lazuli sur le titre du même nom? À la
pierre bleutée? À une mystérieuse présence divine comme le suggère son clip? Bloom
n'est donc pas parfait? Sans doute pas,
et sur «New Year» la ligne
mélodique du refrain est un peu maladroite et perd ce sens du legato, très heavenly voice. Mais, comme dans un rêve, où il suffit d'un bruit environnant pour être tiré des bras de Morphée, la magie
sonore de la meilleure dream pop est d'autant plus précieuse qu'elle est
fragile. «On The Sea» est de
ce point de vue miraculeuse: bien qu'une toute petite chose en apparence elle
atteint pleinement les ambitions du groupe, «une forme d'immensité*» dixit
Victoria Legrand, et rapproche Bloom d'une forme de perfection.
Bloom, it's a strange paradise.
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* Les Inrockuptibles n°859 (16/05/2012), interview recueillie par Thomas Burgel.