Fleetwood Mac - Tusk (1979)
1 - Over And Over
2 - Ledge
3 - Think About Me
4 - Save Me
5 - Sara
6 - What Makes You Think You're The One
7 - Storms
8 - That's All For Everyone
9 - Not that Funny
10 - Sisters Of The Moon
11 - Angel
12 - That's Enough For Me
13 - Brown Eyes
14 - Never Make Me Cry
15 - I Know I'm Not Wrong
16 - Honey Hi
17 - Beautiful Child
18 - Walk A Thin Line
19 - Tusk
20 - Never Forget
À la sortie de Tusk, son prédécesseur, le triomphal Rumours (1977) avait déjà été écoulé à près de 13 millions
d'unités à travers le monde. Les membres de Fleetwood Mac, loin d'un
opportunisme qui aurait consisté à écrire un second Rumours eurent l'audace artistique de prendre leur public et
la critique de court. Tusk, jusque dans sa pochette sibylline et antiséductrice au possible, est un "anti Rumours". Foisonnant, parfois déconcertant, Tusk, c'est le White Album de Fleetwood Mac*. Rumours imposait sa perfection soft-rock dès la première écoute;
ce nouvel album, s'il n'en possède pas la magnifique évidence mélodique, est en
revanche plus dense. Double LP de
largement plus d'une heure, Tusk est
certes foisonnant, mais aussi disparate: plus une collection de chanson
individuelles qu'un ensemble homogène. Le guitariste Lindsey Buckingham, en composant neuf des vingt titres de la tracklist, est le principal maître d'oeuvre
de l'album. Christine McVie et Stevie Nicks se partagent l'écriture des autres
chansons.
Mais qui a eu l'idée de placer
ce «Over And Over» en ouverture d'album? À mille lieux des départ d'anthologie
de Fleetwood Mac (1975) et de Rumours, jubilatoires, «Over And Over», une ballade folk rock, semble bien sage. C'est pour cette fois
Christine McVie qui est aux manettes pour ce début d'album. On retrouve la
veine sensible de la chanteuse dans ces mots simples sur les choses de l'amour,
mais que l'instrumental, à la douceur feutrée semble alangui; un début qui
ressemble à une fin. La country-rock «Ledge» qui suit, brute comme une toile de jute, est alors un coup de théâtre. C'est avec ce genre de compositions
iconoclastes au son très garage,
que l'on pense au double blanc des Beatles; une composition comme «That's Enough
For Me» quelques volte face plus loin, country déjantée, jouée pleine balle, marque davantage cet ancrage esthétique. À
vrai dire, il y a non pas un, mais deux albums sur ce pléthorique Tusk! Les compositions signées Lindsey Buckingham, aux
arrangements souvent "à rebrousse-poil" forment le premier; les
chansons de Christine Mcvie/Stevie Nicks, aux productions plus belles
plastiquement, le second. Il faut tenter l'expérience, et enchainer les compos
de Buckingham les unes après les autres, pour comprendre à quel point on aurait
pu tenir là un fabuleux premier album solo du guitariste du Mac. Les deux
jumeaux instrumentaux que sont «Not That Funny» et «I Know I'm Not Wrong», sont
du meilleur Buckingham, bien secondé ici par John McVie et Mick Fleetwood à la
basse et à la batterie. Un mot sur le batteur: ses prestation sur «What Makes
You Think You're The One» et sur «Brown Eyes», loins des sentiers battus du drumming rock FM, sont d'une justesse de style
remarquable. Quant à la tendre «Save Me»,
pétrie de contradictions - «Turn me off turn me out/But don't turn me
away/Save me a place» - la chanson montre un Lindsey Buckingham fort touchant.
À vrai dire, sur le plan
instrumental, Tusk est l'album le plus profond
émotionellement du groupe anglo-californien. Rumours était la chronique d'affres conjugales sur des musiques radieuses, dans laquelle seule «Oh Daddy» annonçait l'album à
venir. Ici, à l'inverse, ce sont des titres comme «Think About Me» qui
permettent d'assurer la continuité avec l'optimisme du rock californien des
deux albums précédents du groupe. La chanson rappelle furieusement «Say You
Love Me» et «You Make Loving Fun», également signées par Christine McVie,
sur Fleetwood Mac et Rumours. En revanche, «Brown Eyes» n'aurait pas pu se trouver sur Rumours. En matière de lyrisme, «Storms»
est le chef d'oeuvre expressif de Tusk. Dans cette ballade à fleur de peau, la rencontre de la guitare en son chorus et
du Fender Rhodes crée une alliance exceptionnelle de sensualité et d'émotion.
La texture cotonneuse de l'ensemble allant à la rencontre des orages affectifs du texte, est une géniale oxymore. Ici comme sur tout l'album,
Stevie Nicks, incontestablement une des plus grandes voix du rock, est au
sommet de son art. Qui veut s'en assurer pourra écouter sa prise de voix sur le
deuxième couplet de «Sara». Les ruptures de tons sont une
des clés de l'émotion dans les compositions les plus sensibles de Tusk, qui toujours succèdent à des chansons
entrainantes. Ainsi «Beautiful Child», après l'ensoleillée «Honey Hi», se pare
t'elle d'un éclat singulier; la chanson, d'une placide ballade se transforme en une lancinante plainte, qui, en ressassant les mêmes accords, se teinte d'une nostalgie palpable. Alors malgré cette
impression de puzzle à reconstituer, l'édifice Tusk tient debout, et même plutôt brillamment: la
production chamarrée, qui fait fi de l'homogénéité, constitue paradoxalement un
des atouts de Tusk, en
renouvellant constamment l'intérêt de l'auditeur.
Plus long, plus aventureux, plus difficile, Tusk eut un succès bien moindre que Rumours. Certes moins parfait, il reste un disque d'une richesse au
moins égale à son prédécesseur.
✰ ✰ ✰ ✰ ✰✰
* Stephen Holden, «Tusk Review», Rolling Stones Magazine, 13/12/79.