Hyacinthe Jadin - Sonate op. IV n° 2 (1795)
l'Allegro molto de la Sonate op. IV n° 2:
Qui pourrait croire que Mozart, le «divin Mozart» a des morts sur la
conscience? Pas de sang sur les mains certes; mais lui et Haydn acquirent une
telle réputation et une telle suprématie
dans l'Europe de la fin du XVIIIème siècle - et particulièrement en
France - qu'ils devinrent avec le temps, l'unique incarnation du classicisme en
musique. Ils reléguèrent, de leur vivant déjà, tous leurs contemporains dans le rôle d'éternels outsiders…
ou pire, d'imitateurs dont on n'évalue les "tentatives" qu'à l'aune
des réussites absolues de ces deux stars. Ainsi le qualificatif d'«homicide involontaire» se révèle une image parlante! Clementi (1752-1832), pour
n'en citer qu'un, est pourtant un magnifique compositeur pour le piano. À
Hyacinthe Jadin (1776-1800), il n'a manqué que les années pour l'être également.
Jadin, élève de Carl-Philip Emanuel Bach (1714-1788), Allemand illustre -
alors, bien plus que son père, le "vieux Bach", depuis longtemps passé
de mode - Jadin donc, a été biberonné au répertoire germanique: ses
oeuvres, et parmi elles la Sonate en fa dièse mineur l'attestent. L'oeuvre est à la fois proche, par ses
accès de violence expressive, de l’esthétique tourmentée du Sturm und
Drang, celui des premières symphonies de
Haydn ou Mozart. Mais elle est
aussi marquée par le tardif «style classique» des deux viennois, à cause de son maniement tout à fait canonique de la forme sonate. Par ces traits, l'opus IV trahit le
goût de Jadin pour la musique d'outre-rhin. Par sa coupe générale en vif/menuet/vif et par
son Menuet pittoresque, elle
s'apparente à la sonate française de cette fin de siècle.
Disons-les choses clairement: l'Allegro Motto initial
est le plus réussi des trois mouvements de la Sonate en fa dièse
mineur. Noble et expressif, il possède une ampleur de conception certaine. Le premier thème du mouvement, à la ressemblance troublante avec celui ouvrant la Symphonie n° 44 de Haydn, est la preuve par l'exemple de
l'influence du Viennois sur le jeune Jadin - le public français était grand amateur des symphonies de Haydn, qu'on jouait dès la fin des
années 1770, immanquablement à chaque séance du très populaire Concert Spirituel. Superbe motif
secondaire, tout en triolets, aux sixtes mineures tourmentées; il tire la musique
vers le préromantisme là ou le caressant second thème au ton relatif, la
majeur, est fortement redevable à l'esthétique
galante. Le développement, solidement charpenté par son déroulement en trois temps, exploite d'abord le motif liminaire du premier thème avant sa cellule en rythme
pointé. Le motif secondaire aux triolets est ensuite plus longuement
exploité à travers un parcours modulant, fort sinueux et aventureux. Traditionnelle pédale
de dominante préparant la réexposition, celle-ci se faisant sur le premier thème,
une fois n'est pas coutume chez Jadin.
Un menuet en tant que mouvement central
peut surprendre l'auditeur familier des sonates de Mozart et Haydn: sa présence
a pourtant souvent été rencontrée dans la musique de piano-forte française.
Influence du Sturm und Drang évidente:
appuis rythmiques décalés, dynamique heurtée confèrent un caractère emporté à
ce menuet. L’écriture massive de Jadin dans les graves de l’instrument, son goût
pour les contrastes dynamiques et de textures, évoque - annoncent? - le piano
Beethovenien. Dans le trio, un peu faible, de ce Menuet, au trop limpide contrepoint à deux voix, la mélodie
de la main droite aux intonations faciles ne parvient pas à être sauvée par le
soutien élémentaire de la main gauche, en basse et accords. On regrettera au
passage l’absence d'un véritable mouvement lent dans une tonalité contrastante,
qui aurait apporté la détente expressive nécessaire à cette sonate.
Au début
du Finale, on relèvera la même levée de quarte qui unifiait les débuts des deux premiers mouvements: le procédé, bien qu'un peu démonstratif, n'en est pas moins, à ma connaissance, unique dans la musique pour
piano-forte de l’époque classique! La belle énergie du premier thème,
les finesses harmoniques du second, le caractère affirmé de l’ensemble du
mouvement, légèrement amoindris par une structure trop relachée et le recours à
une écriture « formulaire » empêchent toutefois de parler de réussite pour ce Finale. Le développement, construit sur le motif du début du mouvement,
se contente de faire "baigner" celui-ci dans différentes tonalités, à défaut de s’appuyer sur un travail thématique poussé. Jadin n’exploite pas ici le potentiel de tension
dramatique du système tonal, et la gestion des modulations est assez éloignée de
sa mise en pratique chez Haydn et Mozart. La réexposition, considérablement abrégée, débute directement sur
le second thème, signature de Jadin.
Fruit précoce d'un tout jeune compositeur, la Sonate en fa dièse
mineur ne peut être qu'imparfaite. Mais, surtout, elle laisse le mélomane du XXIème siècle dans la frustration; celle de devoir prendre acte de la mort précoce du jeune Français qui, encore studieux tente aussi des expérimentations, et souvent passionne; vifs regrets!
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