Brahms - Deuxième Concerto pour piano (1881)
- Allegro non troppo
- Allegro appassionato
- Andante
- Allegretto Grazioso
Quatre
mouvements, près de cinquante minutes, plus de 1400 mesures: sur le papier
l'oeuvre déjà impressionne! Avec son Second Concerto pour piano, Brahms compose une oeuvre
aux proportions symphoniques dans laquelle il explore les nuances du grandiose:
un Allegro
initial souverain, un scherzo teinté de pathos mais un mouvement lent d'une
infinie plénitude, avant un finale merveilleusement ailé. Si les critiques ont
reproché au Premier Concerto pour piano du compositeur son aspect de «symphonie avec
piano obligé», l'opus 83, bien que de dimensions imposantes est quant à lui
d'un équilibre parfait entre soliste et orchestre, à l’intérieur d’une
structure touffue mais jamais tortueuse.
Solitude totale du corniste au début de l'Allegro non troppo. Ses premières notes sont
décisives: mal émises, trop détachées, elles ruineront la poésie de ce
motif liminaire! Mais parfaitement legato, elles rendront l'entrée du piano d'autant
plus majestueuse; cor naturel ici exclu à mon humble avis. Passé cet immense
bien que très court préambule, et avant la véritable exposition orchestrale,
une cadence du piano, spectaculaire parce qu'on n'attend pas ce type d'épisode
sitôt dans un mouvement, coupe court à la rêverie. D'une poigne ferme elle va
imposer le caractère général et le "rythme" du mouvement: puissamment
volontaire, souvent épique. Globalement et plus encore que dans toute autre
oeuvre du compositeur, dans ce concerto le trait restera large et le geste
puissant; dans son exposition du second thème à la mesure 146, le piano, d'une
dynamique orchestrale, semble ainsi vouloir rivaliser de puissance sonore avec
celui-ci. En plus d'exiger de l'interprète des moyens techniques considérables,
ce très long concerto lui impose une concentration et une résistance physique hors
normes. Au fil de l'œuvre, d'une extrême variété de climats, le piano évoluera vers une technique
plus fine et l'écriture d'orchestre s'individualisera admirablement: le début
du développement, par la magie d'un sixième degré, ce ré bémol voilant la musique d'une
tristesse diffuse, révèle ainsi un art extraordinaire de la demi-teinte, dont
Brahms a le secret. Ce développement, construit sur les trois thèmes de
l'exposition continue ce travail d'éclairage des différentes facettes de
ceux-ci. Puis, sans l'artifice d'aucune pédale de dominante, sans même le
théâtre d'un trille bien placé, mais dans une fluidité d'écriture éblouissante,
la réexposition commence.
«Un joli petit scherzo» plaisantait Brahms dans sa correspondance.
Que les allergiques à l'esthétique germanique ici s'abstiennent: tout dans cet Allegro
Appassionato,
dans lequel le piano, impérial, fait de l'orchestre son second, est
"bigger than life" ! Le mouvement, en ré mineur dans une coupe
tripartite, fait reposer ses parties encadrantes sur deux thèmes. Si le
premier, lancé par un très sonore motif à la double octave fortissimo, parcouru d'haletants
silences, est d'un pathos grandiose, le second est une plainte lancinante
esquissée par les violons et altos dans leur registre aigu avant d’être
développée par le piano. Le trio, en majeur et scandé à la noire, prend
des allures de pièce d'apparat. La présence d'un scherzo au sein d'un concerto,
genre limité aux trois mouvements traditionnels révèle l'ambition du maître. À
vrai dire, à plusieurs reprises Brahms pensa introduire un scherzo dans un de
ses concertos, tel celui pour violon.
Après l'extraversion émotionnelle du mouvement précédent, l'Andante prend lui la forme d'une
méditation poétique, entonnée par le violoncelle solo de l'orchestre. Le Concerto pour violon du compositeur, déjà dans son Adagio
conviait un
hautbois à entonner en soliste le thème principal du mouvement; procédé
comparable ici, mais rendu différent. Le hautbois, souverainement hissé en haut
de l'orchestre exprime plus un sentiment de sérénité olympienne que la méditation
intimiste de cet Andante aux vertus émollientes. Ici le traitement parfois très
individualisé des pupitres, les alliages diaphanes, les cordes pincées des
contrebasses… On croirait par moment entendre le Ruhevoll de la Quatrième symphonie de Mahler.
Merveilleux Finale! On l'attendait gigantesque et triomphal; cet Allegretto
grazioso est
un miracle de légèreté, enchainant les entrechats et cabrioles pianistiques sur
un duvet d'orchestre.
Le refrain de ce rondo-sonate tout en "pointes" avec ses octaves
piquées du pianiste est, après l'engourdissement des sens de l'Andante, un réveil plein de malice et
d'espièglerie. Après sa reprise par l'orchestre ce thème est suivi d'un motif
secondaire, quasi jumeau, n'était ces sixtes plus caressantes, avant un
langoureux thème en mineur aux bois et cordes, tzigane comme l'étaient ceux du finale
du Quatuor opus 25 ou du Concerto
pour violon rappelle
que l'on est chez Brahms. Un bref motif de transition dans la région de la sous-dominante, et puis… le miracle! Un thème plein d'entrain emmené d'abord par le piano, repris à l'orchestre et orné par des traits en gamme du piano, comme des gazouillis. On regrettera juste, car c'est d'une forme rondo-sonate qu'il s'agit dans ce finale, que ce thème ne soit pas celui du refrain, pour pouvoir y revenir encore et encore.
Un des plus hauts massif du répertoire mais un des plus difficiles
à gravir pour l’interprète. Ce Deuxième Concerto pour piano de Brahms est un pur
chef-d'oeuvre.
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